Qui va s’approprier politiquement Médée? La gauche ou la droite? Le débat ne sera pas clôt après le passage de l’opéra de Luigi Cherubini au Grand Théâtre de Genève. Par sa violence et sa radicalité, mais aussi par les regards multiples qu'on peut porter sur lui, le personnage de Médée est une source d’inspiration encore actuelle.
Cette femme et mère va transgresser les règles sociales et passer «du côté sombre de la force». Autant de crimes pour une seule personne, la charge est lourde: elle tue son frère et le découpe en morceau puis, trahie, elle assassine sa rivale et le père de celle-ci, tue ses propres enfants, et incendie son palais. Une vie marquée par le sang, la trahison et le meurtre. Mayday, Médée arrive!
La mythologie grecque fait état de nombreux crimes monstrueux, commis par des personnages dont la particularité semble d’être au-delà des normes humaines. Mais comment interpréter le message que ces comportements - que l’on refuse aux humains - doivent forcément contenir? Pourquoi Médée est-elle devenue aussi cruelle? Le fait divers, qui serait aujourd'hui traité dans une série policière américaine, contient aussi une pédagogie.
Le Matin dimanche fait état de la controverse entre le metteur en scène de l’opéra de Cherubini, Christof Loy, et l’interprète, Jennifer Larmore. Pour celle-ci Médée est résolument responsable de ses actes: «Je ne veux absolument pas susciter de la compassion pour cette femme dans le public. (...) Elle ne mérite aucune sympathie.»
Pour le metteur en scène, par contre, Médée est le «symptôme d’une société de bourgeois, aux moeurs prétendument irréprochables, qui se servent d’elle comme exutoire pour une société corrompue.»
Alors, s’agit-il bien de responsabilité individuelle, notion plus prisée par la droite, ou s’agit-il plutôt d’un déterminisme social qui ferait d’elle un produit de la société, théorie au parfum rousseauiste plus courante à gauche? La question ne peut être tranchée totalement au plan théorique. En effet le déterminisme social joue un rôle dans la construction des individus. Dans les sociétés de castes, la naissance détermine toute une série de possibles et de non-possibles fixés à l’avance pour lesquels la biologie ne tient pas de fonction: l’individu a moins de place que le groupe. Ce déterminisme, qui fait prévaloir le groupe sur l’individu, semble peu adapté à la modernité. La posture de la prévalence du groupe sur l’individu est malaisée. On l’a vu avec l’attentat contre Charlie: ces tueurs doivent-ils être considérés comme responsables de leurs actes ou comme des victimes de la société?
Même si l’environnement social teinte les existences, je pense qu’il faut privilégier la décision individuelle. Ce n'est pas toujours facile. C'est un apprentissage, semé d'erreurs et d'éveils. La décision individuelle, je crois, construit notre conscience et notre liberté intérieure, notre histoire. Nos actes ne sont pas simplement dictés par le groupe. Il y a passage par soi, en adhésion personnelle ou non à ces actes. La force des individus qui ont introduit un nouveau logiciel social est d’avoir dit JE, au risque de leur vie parfois. Ainsi Jésus s’est-il opposé d’une certaine manière à la loi du groupe à propos de la femme adultère. Opposé n’est pas le mot le plus approprié: je veux dire qu’il n’a pas fait alliance avec ceux qui voulaient la lapider. Ils a suggéré un examen de leur propre comportement. Sont-ils eux-mêmes des justes? Question ô combien interpellante, encore et toujours.
La controverse entre le metteur en scène et l’interprète de Médée a le mérite de reposer des questions de société sur lesquelles nous n’avons pas fini de débattre.
Au Grand-Théâtre de Genève du 9 au 24 avril.
Commentaires
Effectivement Médée est seule responsable de ses actes, c'est une femme trompée qui n'a pas supporté d'être remplacée par une autre et se venge aveuglement sans réfléchir aux conséquences.
Sous l'emprise de la colère et de la jalousie, se rend-on compte nos actes, de nos paroles vis-à-vis d'autrui ? Serait-on victime de la société qui prétend que l'on doit être parfaite en tous les instants de la vie ?
Vous lancez un débat sur la question - à mon sens - de l'éducation donnée aux filles et j'avoue avoir fait très attention à celle que j'ai donnée à la mienne "tu n'es pas un "objet posé sur une étagère" mais tu as autant de droits que ton frère" : le message a été bien reçu !
@Lise
Leur apprendre à vivre comme des citoyens et non comme des criminels aussi bien garçons que filles, est la nécessité absolue, si l'on veut qu'ils finissent par être intégrés dans la société.
@ ralisak : Rassurez-vous c'est ce que j'ai fait !!!
@ Lise
c'est peut-être plus réaliste de nos jours de dire aux garçons qu'ils ont autant de droits que les filles !!!