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Je ne serai pas le suivant

Repère 1.

 

Un jour une patiente nouvelle entre dans mon cabinet. Elle commence à me décrire son problème avant de passer à une critique en règle et très négative des précédents thérapeutes qu’elle a consultés. L’un était trop ceci, l’autre pas assez cela, aucun n’a trouvé grâce dans sa liste d’au moins dix praticiens.

interdit01.jpgQuand elle en a terminé avec cette forme d’accusation je lui dis : 

 

« Madame, je ne peux rien pour vous, plus exactement je ne veux rien entreprendre pour vous. Vous venez de flinguer tous vos précédents thérapeutes devant moi. Que cherchiez-vous ? A établir une alliance avec moi ? Je refuse ce genre d’alliance. Je ne veux pas être sur votre liste. Je ne serai pas le suivant ». 

 

Je l’ai raccompagnée à la réception. Une connaissance devait venir la chercher. Je suis repassé près d’elle un peu plus tard et elle m’a dit qu’elle avait appris quelque chose grâce à moi. Mon intention n’était pas de faire la leçon, encore moins de lui apprendre quelque chose. Mon seul but était de signifier un refus de ce mode de communication dans sa forme et son contenu. Un refus de prendre à mon compte ce que contient un tel dénigrement. Je ne voulais pas lui en faire reproche ( je ne suis ni son parent ni son guide ), mais seulement me préserver personnellement de ce que par expérience j’identifie comme une alerte

 

L’alerte est la suivante : quand quelqu’un dénigre ou méjuge une autre personne devant moi ( surtout en l’absence de ladite personne ), je sais que je serai le suivant sur sa liste de dénigrement. Car si elle peut parler mal dans le dos de l’un, elle saura le faire dans mon dos. Donc je me dois de ne pas prendre ses propos à mon compte ni leur apporter un quelconque soutien. Il peut être difficile de résister, il faut tenir bon, au risque de perdre des amis ou de paraître froid. Exprimer trop de sollicitude me lie à l’autre. Oh, je me fais encore avoir ! Parfois je n’écoute pas les alertes et dois remettre mon ouvrage sur le métier. Le travail sur cette indépendance émotionnelle et intellectuelle est permanent et continu. 

 

Avancer vers l’autre, s’ouvrir à lui, n’est pas tout. Il faut aussi savoir se retirer de l’autre et se fermer à lui.

 

 

 

critique,dénigrement,alerte,brouetteRepère 1: Je ne porterai plus sa brouette

 

Celui ou celle qui pratique ce dénigrement est capable de me capter par l’affect et de générer chez moi une forme de loyauté, une loyauté affective parasite. Je suis un sentimental, entre autres. La compassion sur sa souffrance réelle ou cultivée fait de moi l’obligé de l’autre.

 

Le repère 1 est donc : si une personne tente d’obtenir mon soutien en dénigrant avec ses tripes ou par système une autre personne - collègue de travail, employé, patron, amoureux ou amoureuse - je prends mes distances. Comment pourrais-je faire confiance à une telle personne ? Qui sera le suivant ? 

 

Parfois, par confort ou par crainte de brusquer l’autre, je m’abstiens de dire mon dérangement, mon désaccord sur cette attitude. Récemment encore j’ai laissé passer cela. Puis j’ai eu besoin de recadrer la personne en cause tant elle devenait intrusive. Cette personne a alors clashé et s’est retirée d’un projet commun pour lequel elle était déjà en partie payée.

 

Après coup je constate que c’était le prix pour préserver ma liberté et laisser à l’autre ce qui lui appartient. L’interaction était devenue toxique. Je perds quelque chose mais je gagne un petit supplément d’intégrité.

 

Par compassion ou par peur de choquer j’ai parfois tendance à prendre sur moi la brouette des autres. C'est mon coté trop gentil. Alors je me soigne. Avec cette personne c’est fini : je ne porterai plus sa brouette.

 

 

 

Repères: dans ce mot je mets les éléments - ou les valeurs - qui me servent de balises dans mes relations aux autres.

 



Catégories : Philosophie, Psychologie, Repères 9 commentaires

Commentaires

  • Manuel de savoir vivre, chapitre vivre en communauté, partie 1.

    Le bon sens de cet article est vraiment réconfortant dans l'océan d'absurdite que nous traversons.

  • Il ne vous est pas passé par l'esprit que les reproches de ces personnes envers d'autres pouvaient être légitimes, vous en vous en lavez les mains ?

  • "L’alerte est la suivante : quand quelqu’un dénigre ou méjuge une autre personne devant moi ( surtout en l’absence de ladite personne ), je sais que je serai le suivant sur sa liste de dénigrement."

    Je vous trouve bien réactif et irréfléchi pour conclure aussi sottement, c'est indigne de quelqu'un qui se prétend psy, abandonnez tout de suite cette profession, vous n'êtes pas au niveau de recul nécessaire.

  • @ Pli:

    au contraire, c'est très réfléchi et pertinent. Ma réaction est adaptée et clarifiante. C'est un élément de savoir-vivre, un élément de ma propre gouvernance. Et un cadre de référence. Il y en a toujours un, il y a toujours une appréciation sur le comportement, même chez les psy.

    Si l'on veut éviter les enlisements relationnels il faut parfois être très clair. Pas besoin d'être psy pour cela. C'est à mon avis une bonne attitude, qui consiste à ne pas tout vouloir expliquer, entendre, comprendre. Certaines choses ne sont pas de l'ordre de la compréhension mais du positionnement, même si celui-ci peut conduire à un conflit. Dans cette situation précise j'ai eu la bonne attitude, même si comme vous il se trouve des personnes qui ne sont pas d'accord. Il y a même un courant de psychologie de provocation, dans la ligne de l'école de Palo Alto.

    A part cela je suis passionné de psychologie mais je ne me prétends pas psy.


    "Il ne vous est pas passé par l'esprit que les reproches de ces personnes envers d'autres pouvaient être légitimes, vous en vous en lavez les mains ?"

    C'est sans intérêt, à moins que cela n'ait entraîné une péjoration de son état. Si elle a été mal traitée il y a des instances de recours. Je n'en suis pas une. Croyez-vous intéressant d'entendre du dénigrement quand on n'a aucune possibilité de vérifier la réalité des propos? Et est-il intéressant d'entrer dans ce jeu? Non, cela n'est pas intéressant. Ce n'est que rumeur, à défaut de vérification.

  • Cela se passe en Angola, en Afrique. Au CICR. Le coordinateur médical pour l'Afrique est en visite. Au petit déjeuner de son 2ème jour, il écoute un jeune médecin qui n'arrête pas de se plaindre. Des Africains d'abord, bien sûr. Eh ouais, ils ne sont pas suisses...De la délègue ensuite. Le chef de délègue ceci, l'administrateur cela. Et les collègues alors !
    le coordinateur médical écoute tout et à la fin, il dit au jeune médecin de faire sas valises; même si sa mission est loin d'être terminée, il rentre à la maison par le prochain avion...

  • "Si elle a été mal traitée il y a des instances de recours. Je n'en suis pas une."

    Je crois sérieusement que vous vous cachez derrière votre petit doigt.

    Un patient de psy cherche à éclairer sa propre lanterne sinon il n'irait pas voir un psy. En gros, vous ne recevez que des patients sans problèmes...

  • "un jeune médecin qui n'arrête pas de se plaindre."

    Ca devait être un jeune hydrogéologue s'il n'arrêtait pas de se plaindre.

  • Pas du tout Pli.

    La position que je soutiens fait réellement partie des repères relationnels d'un savoir-vivre trop oublié. On peut le formuler autrement mais l'idée y est. C'est de l'ordre de la gouvernance personnelle de soi. Cela dérange, oui, ok, mais ce n'est pas important en regard de ce que cela clarifie dans les relations.

    Chacun sa part. Dans cette séquence il ne s'agit pas de thérapie mais de poser une limite à un comportement. Bien que cela pourrait aussi être considéré comme une métathérapie, car elle a reconnu avoir appris quelque chose avec moi, pour le peu de temps où je l'ai reçue (et pour lequel je n'ai bien sûr pas demandé d'honoraires). Je lui ai éclairé sa lanterne, non sur une causalité hypothétique de ce comportement, ce dont je serais bien incapable et dont je ne suis pas sûr qu'elle existe, mais tel qu'il apparaît à un moment avec une personne. Je me suis exposé pour que l'information passe rapidement, avec clarté, et justement sans me cacher.

    Je n'ai pas ouvert d'espace de discussion sur cette séquence, pas recherché de mode d'emploi, parce que la situation était claire non sur ses causes mais sur son déroulement. Le comportementalisme est aussi une piste, un levier de prise de conscience. Le risque est que la personne ne comprenne pas la finalité. Cela fait partie des choses qui sont longues à identifier et à reconnaître car elles sont dans le comportement, comme un mode de fonctionnement normal.

    Cela dit, si le repère que je mets en avant est important pour préserver les relations de la confusion, une telle situation en cabinet ne m'est arrivée qu'exceptionnellement, trois fois en tout.

    Je pense que ce repère vaut pour l'ensemble des relations.

  • "Ca devait être un jeune hydrogéologue s'il n'arrêtait pas de se plaindre."
    Point du tout. C'est d'ailleurs tout l'avantage des blogs : on peut y exprimer ce qu'il est impossible d'exprimer dans son cadre quotidien. Et se plaindre des options politiques prises par les dirigeants de son pays depuis une cinquantaine d'années n'est pas comparable non plus. Plouf, vous êtes de mauvaise foi. Une fois de plus...
    Et pour l'Angola : je me suis fait sortir parce que j'y avais de plus en plus d'attaches locales, ce qui est contraire à l'esprit CICR. Il m'est arrivé à la demande d'habitants de Huambo d'évacuer leurs enfants de leur quartier sur le pont de mon pick-up, parce qu'ils avaient été avertis d'une attaque imminente de l'UNITA. Pas compatible avec la neutralité. Cela ne me l'a jamais été reproché directement, plutôt l'idée que ma mission avait assez duré. J'y suis retourné deux ans plus tard pour reprendre le programme "eau et assainissement" que le CICR ne voulait plus assumer pour le compte d'une ONG suisse. J'y ai retrouvé mes amis angolais, on a fait quelques forages et les élections sont arrivées. Savimbi avait dit aux habitants de cette province, son peuple à ce roi nègre, que s'il perdait les élections, c'est que c'était triché. L'UNITA a évidemment perdu les élections, puisque la démocratie est forcément tribale en Afrique et que la tribu de Savimbi ne recouvre que les provinces de Bié, Huambo et Benguela. Les élections ont été déclarées "fair" par les NU mais pas par l'ancien professeur à Lausanne de Savimbi et un journaliste de la Tribune-le Matin, que Savimbi avait fait venir comme observateurs. La guerre a donc repris juste après que je m'évacue vite fait, j'y ai perdu pas mal d'amis et cela explique une certaine hargne de ma part envers certains journalistes...

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