Dans un article le sociologue Jean-Pierre Le Goff analyse les nouveaux positionnements de la gauche française. Cet ancien de Mai 68, ancien maoïste, a su faire son autocritique et démonter les tendances totalitaires qui ont parcouru l’époque et le mouvement.
Il développe une sociologie ouverte, une sociologie du fond culturel des sociétés, fond qui selon lui structure les époques et les relations humaines. On a, en général, d’un côté une sociologie utilitaire qui réduit la réalité à une expertise chiffrée en vue d’améliorer certains de ses aspects.
De l’autre côté une sociologie marxisante qui voit en tout l’expression de phénomènes de domination – et dont le féminisme est un exemple actuel. Le Goff cherche ce qui, plus profondément, nourrit et fait bouger les sociétés humaines, hors des réductionnismes utilitaires ou politiques.
Les extraits qui suivent sont tirés d’une publication dont je recommande la lecture et disponible ici en pdf, intitulée: Du gauchisme culturel et de ses avatars. J’ai mis en italique certaines phrases qui me semblent particulièrement relevantes dans les débats de société actuels et dans le blocage culturel dû à une idéologie culturelle gauchiste dominante.
« On attendait la gauche sur la question sociale qui constitue historiquement un facteur essentiel de son identité. En fait, elle a abandonné une bonne partie des promesses électorales en la matière, tout en se montrant intransigeante sur une question qui a divisé profondément le pays. Elle a ainsi reporté sur cette dernière une démarcation avec la droite qu’elle a du mal à faire valoir dans le champ économique et social. Les anciens schémas de la lutte contre l’«idéologie bourgeoise», contre le fascisme montant se sont réinvestis dans les questions sociétales avec un dogmatisme et un sectarisme d’autant plus exacerbés.
Les partisans du «Mariage pour tous» l’ont affirmé clairement: «Pour nous, les craintes et les critiques suscitées par ce projet n’ont pas de base rationnelle.» Dans ces conditions, le débat avec des opposants mus par des craintes irrationnelles et une phobie vis-à-vis des homosexuels ne sert à rien.
(…)
Quoi de plus simple que de considérer ce mouvement contre le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels comme un succédané du fascisme des années 1930 et du pétainisme, de le réduire à une manifestation de l’intégrisme catholique et de l’extrême droite qui n’ont pas manqué d’en profiter? (…)
Pour la gauche, il ne faisait apparemment aucun doute que les revendications des groupes homosexuels participaient d’un «grand mouvement historique d’émancipation» en même temps que leur satisfaction représentait une «grande avancée vers l’égalité». La Gay Pride, à laquelle la ministre de la Famille fraîchement nommée s’est empressée de participer avant même le vote de la loi, leur apparaissait comme partie intégrante d’un «mouvement social» dont elle se considère le propriétaire légitime. Ce mouvement s’est inscrit dans une filiation imaginaire avec le mouvement ouvrier passé tout en devenant de plus en plus composite, faisant coexister dans la confusion des revendications sociales, écologistes, culturelles et communautaires.
Devenu de plus en plus un «mouvement sociétal» par adjonction ou substitution des revendications culturelles aux vieux mots d’ordre de la lutte des classes, son «sujet historique» s’en est trouvé changé. À la classe ouvrière qui «n’ayant rien à perdre que ses chaînes» se voyait confier la mission de libérer l’humanité tout entière, aux luttes des peuples contre le colonialisme et l’impérialisme se sont progressivement substituées des minorités faisant valoir leurs droits particuliers et agissant comme des groupes de pression. C’est ainsi que les revendications des lesbiennes, gays, bi et trans se sont trouvées intégrées dans un sens de l’histoire nécessairement progressiste, en référence analogique lointaine et imaginaire avec le mouvement ouvrier défunt et les luttes des peuples pour leur émancipation.
En inscrivant le «Mariage pour tous» dans la lutte pour l’égalité, la gauche a par ailleurs opéré un déplacement dont elle ne perçoit pas les effets. «Égalité rien de plus, rien de moins», proclamait un slogan des manifestations pour le mariage homosexuel en janvier 2012, comme s’il s’agissait toujours du même combat. Or, appliquée à des domaines qui relèvent de l’anthropologie, cette exigence d’égalité change de registre. Elle concerne de fait, qu’on le veuille ou non, une donnée de base fondamentale de la condition humaine: la division sexuelle et la façon dont les êtres humains conçoivent la transmission de la vie et la filiation.
(…)
Dans le domaine de la différence sexuelle, comment alors ne pas considérer le fait de pouvoir porter ou non et de mettre au monde un enfant comme une «inégalité» fondamentale entre gays et lesbiennes? Dans ce cadre, la revendication de la gestation pour autrui paraît cohérente et prolonge à sa manière cette nouvelle lutte pour l’«égalité».
Jean-Pierre Le Goff »
J’ajoute que les accusations d’homophobie ou d’irrationalité lancées contre celles et ceux qui pensent autrement, ou les Femen agressant un cortège puis jouant aux victimes, participent à une stigmatisation que certains groupes des années 1930 n’auraient pas reniée. Le fascisme n’est pas du côté où on le pense. Il naît de ce genre de stigmatisations, et la gauche, jouant au paternalisme avec des groupuscules LGBT extrémistes, a malheureusement cousu une doublure brune à l’intérieur de ses habits roses.
La domination idéologique gauchiste dans la culture moderne est là, inhibant progressivement la liberté d’expression par un jeu d’accusations infamantes et d’autorité morale autoproclamée. Une nouvelle révolution culturelle est de plus en plus nécessaire pour désenliser la pensée et la société. Je la souhaite pacifique et réfléchie.
Mais cela dépendra du degré d’oppression culturelle, qui est en constante augmentation tant dans les idées que dans l'administration du quotidien. Dans les idées: la mise en cause de la famille, le rejet du repère biologique dans la construction des identités, la violence morale et sociale contre les hommes, le révisionnisme historique du féminisme et son mépris implicite des femmes, l’ambiguïté insupportable du désir/rejet de la richesse, celle de la domination cachée dans le discours égalitaire, la volonté d’abattre l’hétéronormativité, l’antiracisme non réciproque, la dictature des minorités, la victimisation érigée en système, l'égalitarisme jusqu'à l'absurde, la culpabilisation comme arme politique, entre autres, sont tels que le retour de bâton pourrait être violent.
Commentaires
Et pourtant, la gauche pourrait faire très fort.
http://posttenebraslux.blog.tdg.ch/archive/2015/07/24/tisa-ttip-la-gauche-tient-son-os-268951.html
Je suis impatient de lire un commentaire de la part d'Olga Baranova, sur ce sujet ... et aussi bien curieux.
En lisant ce billet, je me suis demandée, pourquoi "le mariage pour tous" (qui en réalité était le projet du mariage pour les homosexuels) avait causé une crise profonde en France et pas dans les autres pays européens.
N'était-ce pas justement, parce que le dossier avait pris cette dimension doit-de-hommiste, qu'une certaine gauche a thématisée ?
Le "pour tous" faisait écran.
Si on en restait simplement au projet platement petit-bourgeois ( = nous voulons avoir un statut traditionnellement valorisé dans la société), la revendication n'avait pas de côté agressif pour le reste de la société et ne créait pas un clivage béant. Ca s'est passé ainsi dans le reste de l'Europe, à moins que je ne me souvienne plus de gros remous nationaux.
Attention : je ne critique pas le fait de vouloir se marier, mais je ne trouve pas que ce soit un truc tellement incroyablement nécessaire et vital , sauf s'il s'agit de problèmes de droit de résidence. (qu'en dit le PACS ?)
Il y a eu quelque chose de spécifiquement français à ce moment-là.
Les Français adorent polariser les débats. Et pas seulement la gauche.
Là, tout le monde a répondu présent et on a très vite su amplifier le problème, pour qu'il envahisse toute la place publique et que tout le monde y aille de son indignation.
Qu'il y ait ensuite le problème de l'adoption, de la GPA etc est un autre débat. Si mes souvenirs sont exacts, il était prévu d'avoir ultérieurement d'autres débats de loi à ce sujet.
L'Occident danse sur un volcan pour fêter le proche anéantissement de ses valeurs essentielles. Vu de Syrius toutes ces manifestations et revendications débridées, y compris celles contre le "spécisme", paraîtraient bien pathétiques sur fond des problèmes que les monde et ses sociétés connaissent et vont connaître.
Beaucoup d'enfants gâtés (combien de travailleurs manuels dans ces manifestations?), beaucoup d'ignorants, beaucoup de nombrilistes et une bonne poignée de provocateurs qui se réjouissent de tout ce qui détourne le regard de problèmes plus graves.
Je suis pour l'union civile car elle découle de la liberté d'association. Un Pacs complété aurait fait l'affaire. Le terme de mariage désigne une union spécifique, celle d'une femme et d'un homme. Spécifique car historique et relative à la reproduction. De ce point de vue tout n'est pas équivalent et le principe d'égalité ne s'applique pas. Le détournement de ce symbole n'est pas anodin ni innocent.
La France aime polariser, c'est vrai, et pour une fois je n'étais pas contre mais le débat a été arrêté bien trop vite, si l'on considère d'ailleurs que les invectives sont un débat!... Cela a été avalé de force mais je doute que cela soit digéré et réellement admis.
La GPA a été finalement découplée de ce débat. Je pense que c'était trop pour le PS au pouvoir. Sur la GPA je suis clairement opposé. C'est non seulement une mercantilisation de la grossesse et de l'enfant mais aussi un déni de la maternité physique.
En Suisse la Jeunesse socialiste veut éliminer la notion de mariage et laisser place à toute union privée. Délire, à mon avis, car le principe de l'union est justement la reconnaissance sociale et juridique d'une forme de contrat aux conséquences multiples. Un contrat individuel peut être établi autour de l'union mais ne peut remplacer un acte qui définit un cadre fondamental des relations humaines telles que reconnues par l'ensemble de la communauté. D'ailleurs son principe s'applique aussi maintenant, de plus en plus, au concubinage.
Le terme "pour tous" est évidemment abusif. Il faudrait aussi dans ce cas l'ouvrir aux couples incestueux consentants. Mais le saut semble trop grand... Et puisqu'on parle d'égalité des espèces, pourquoi ne pas se marier avec son chat ou avec une girafe?
Absurde car non reproductif, et tout le reste... Sans compter le lieu habituel de résidence, surtout pour la girafe. Mais enfin, si l'hétérosexualité humaine n'est plus une norme, pourquoi s'arrêter à un concept anthropocentrique?
Je doute cependant que les JSS aillent aussi loin, ni même les groupuscules LGBT. Pourtant Caligula, précurseur de l'ultra-libéralisme des moeurs, avait bien épousé son cheval, dit-on...
"En Suisse la Jeunesse socialiste"
La jeunesse représente l'avenir. Dans l'attente d'avoir le pouvoir, dans son adolescence, elle passe aussi beaucoup de temps à vouloir emm* les vieux, généralement représentées par leurs parents. La Jeunesse socialiste suisse est justement dans cette phase, où elle vogue entre chercher à emm* les vieux et proposer un avenir qu'elle sera elle-même d'assumer lors de sa maturité.
http://www.politique-autrement.org/IMG/pdf/LeDebat-LeGoff.pdf
très intéressante cette analyse
"Le gauchisme culturel peut même se montrer
inquisiteur et justicier en traquant les mauvaises
pensées et les mauvaises paroles, en n’hésitant
pas à pratiquer la délation et la plainte en justice.
À sa façon, sans qu’il s’en rende compte, il
retrouve les catégories de faute ou de péché par
pensée, par parole, voire par omission, qui faisaient
les beaux jours des confessionnaux. Le
gauchisme culturel est à la fois un modernisme
affiché et un moralisme masqué qui répand le
soupçon et la méfiance dans le champ intellectuel,
dans les rapports sociaux et la vie privée." !!!