Après la domination d’une pensée médiévale presque intemporelle, le temps a saisi l’esprit des hommes et lui a inspiré un nouveau déterminisme, non religieux celui-ci. Pensée médiévale: pourquoi presque intemporelle?
Parce que fondée sur la construction spirituelle de l’humanité. Le Royaume de Dieu n’est pas une chronologie. Il est intemporel, existe de tous temps, et ne demande qu’à s’incarner sur Terre. Cette incarnation dans les structures humaines n’est pas une finalité, c’est un processus de retour, soit le résultat non d’une évolution linéaire avec un début et une fin mais d’une oscillation, telle à plus petite échelle l’oscillation du rythme cardiaque. L’apparente évolution serait alors un jeu d’adaptations aux différentes conditions générées par cette oscillation, en attendant que celle-ci finisse par simple épuisement du mouvement initial.
Dans ce mouvement d’oscillation la religion porte toutefois en elle cette finalité: rejoindre le Paradis à la résurrection des corps, ré-intégrer en quelque sorte la maison du Père après en avoir été chassé par la Chute dans la tradition chrétienne. L’explication du monde étant, au Moyen Âge, imprégnée de cette théologie, la science elle-même lui était subordonnée. C’est par cette subordination que l’on peut comprendre le refus de l’église catholique d’accepter initialement l’héliocentrisme.
Qui dit finalité, dit déterminisme. Les événements seraient programmés par une main invisible pour atteindre un but. La notion de sens de l’Histoire suppose elle aussi une finalité, car qui a un sens va avec raison quelque part plutôt qu’ailleurs, ou s’interprète d’une façon considérée comme juste par rapport à une autre.
Mais qui aurait présidé à cette finalité? La réponse est impossible du point de vue scientifique et de celui de la philosophie positiviste. La science n’explique que le comment des choses, pas le pourquoi, rejoignant en cela le positivisme philosophique. Tout serait création humaine. Le droit positif par exemple exclut toute notion de droit naturel issu d’une nature humaine essentielle existante préalablement au temps chronologique. L’existentialisme a appuyé sur ce même accélérateur d’un homme dénudé de toute attache et finalité autre que celle qu’il décide, et qui dit décision dit volonté, et donc direction, donc finalité.
Mais ce positivisme est d’une part impuissant à répondre aux questions fondamentales: pourquoi la vie, la mort, à quoi servons-nous dans l’univers, la vie a-t-elle un but autre que la reproduction, qu’advient-il de nous après la mort? La finalité de l’espèce humaine serait, selon certains, la liberté. Peut-on prouver cette assertion? Non. La liberté n’est peut-être qu’un moyen pour une autre finalité plus fondamentale. Peut-être que dans 1’000 ans ou dans 10 ans d’autres bascules vont s’opérer. L’appel à plus de bien commun, qui passe par l’utilisation de l’idée de l’individu devant être protégé, augmente la charge morale de l’État et favorise l’émergence de systèmes contraignants. Le thème de bien commun pourrait devenir un thème de campagne.
Il semble – hypothèse – que l’évolution des sociétés humaines parte de sociétés dominées par la collectivité et ses normes, pour aller vers l’individu et ses besoins et désirs. Mais en quoi serait-ce une finalité plus qu’une simple adaptation au trop grand nombre d’humains pour qu’une norme collective unique subsiste, ou une adaptation à une régulation du nombre même de l’espèce? Une société individualiste produit moins d’enfants.
Toutefois cet individualisme ne touche pas tous les groupes. Par exemple l’humanité musulmane est plutôt collectiviste par rapport aux sociétés chrétiennes et post-chrétiennes.
L’Histoire ne serait peut-être pas un mouvement dans une direction mais une suite d’adaptations, d’ajustements, d’économies de l’espèce. Rien ne démontre que les formes actuelles de l’individualisme soient éternelles. Une chute du nombre d’humains à 1 million au total suite à une épidémie par exemple, obligerait à modifier drastiquement notre mode de vie. Le morcellement possible en petits groupes relancerait des formes d’organisations plus collectivistes pour remplacer les systèmes de protection technologique qu’une humanité à 1 million d’âmes ne pourrait plus produire.
Penser que l’Histoire a un sens est avant tout une idée rassurante pour les humains plongés dans un éternel présent, confrontés à la disparition du passé et à l’incertitude de la story telling sur l’avenir. Tout ce qui est aujourd’hui sans réponse, sans explication, sans solution, en recevra peut-être demain. Cette attente elle-même, ainsi que les lois de cause à effet, tendent à déterminer une finalité, ou au moins une logique dans le déroulement qui rend l’évolution intelligente, donc inspirée par une organisation intellectuelle et ayant un but à accomplir, ne serait-il qu’à court terme.
Nous sommes rendus à constater que l’évolution apparente, ou le développement de systèmes avec plus de liberté individuelle, sert surtout à l’enrichissement des sociétés marquées par le nombre très important de ses membres. En petit nombre le collectif n’est pas très coûteux. En grand nombre il devient exorbitant en structures d’incitation, de contraintes, de surveillance, de répartition, de mise au pas, de répression, etc. En grand nombre le règne de l’individu est moins coûteux: c’est l’individu qui se motive à travailler, à s’organiser, qui prend donc en charge une partie des responsabilités assumées antérieurement par une émanation du collectif. La participation citoyenne à la démocratie va dans ce sens de décharger le collectif sur l’individu, ce qui est moins coûteux pour les groupes.
A mon avis le grand nombre, s’il ne produit pas plus de sens à l’Histoire, opère une bascule des systèmes d’organisation dans le sens d’une nouvelle forme d’adaptation pour la survie, sans que l’on puisse affirmer que cette adaptation soit une finalité absolue, incontournable et pérenne.
Et puis n’oublions pas ce qu’aurait écrit Alphonse Allais: Le sens de l’Histoire? Prenez un aller-retour, vous aurez raison au moins une fois.
Commentaires
Oscillations, allez-retour, solitaire ou solidaire
Je comprend enfin aujourd'hui le sens profond de ce poème lyrique post-anté-moderne
https://www.youtube.com/watch?v=rblYSKz_VnI
:-)
... Yes. J'aime beaucoup aussi le final. Et puis cette époque des Beatles est super communicante,
"L'histoire a-t-elle un sens?" Oui, sens unique dans une impasse. D'une manière ou d'une autre, dans moins d'un million d'année, l'espèce humaine aura disparu.
L'histoire a un sens .Elle est utile pour ne pas répéter les mêmes erreurs
C'est un peu comme dans un couple car l'histoire se construit à plusieurs
Certains se marient croyant mieux réussir que leurs parents divorcés jusqu'à ce qu'un membre un peu plus éveillé réalise malgré lui que certaines familles ne peuvent se marier sans répéter ce que certains nomment le karma
Mais encore faut-il connaitre l'histoire de sa famille et de ses ancêtres
Alors que d'autres n'ayant pas connu le lavage de cerveau de la propagande Allemande s'amusent encore et encore à ce jeu là dans certains médias
L'histoire du passé sert au présent et celle d'aujourd'hui doit servir pour demain car on le sait tous ou presque l'avenir ne peut se construire en niant le passé sinon c'est comme construire une maison sur du sable et qui sera emportée dès les premières marées
Je vous félicite et vous remercie de continuer à réfléchir ainsi (et à nous inciter à réfléchir à notre tour) à des questions qui dépassent les problèmes du quotidien et les disputes politiques.