Les images, surprenantes, rappellent comment une société peut bouger et changer ses normes. À première vue on peine à imaginer qu’il s’agit bien de Kaboul. Raccourci sur l’Histoire récente en quelques photos (cliquer dessus pour les agrandir).
Ces femmes déambulent librement, habillées comme elles l’entendent, un peu court. Elles ont le sourire aux lèvres. Elles étudient, vont à l’Université, sortent, lisent des livres. Les photos datent des années 1950 et 1970. La quatrième montre encore une marche de femmes de Kaboul dans les années 1980.
Depuis, l’oppression s’est abattue sur le pays. Qui aurait pu imaginer que trente ans plus tard, la société urbaine de Kaboul serait sous la domination religieuse des talibans?
Qui aurait pu imaginer que ces jeunes femmes, tout sourires, joyeuses, se retrouveraient interdites d’école et contraintes à se cacher le visage?
L’ont-elles voulu? Est-ce leur libre choix, après avoir partiellement montré leur corps (jambes, visage). Veulent-elles vraiment le recouvrir jusqu’à le cacher? À voir les images passées on ne comprend pas ce qui aurait massivement amené les femmes de Kaboul à porter le voile partiel ou intégral.
La révolution islamiste est d’abord une révolution identitaire. Le religion est l’outil idéologique de prise du pouvoir au nom d’une identité marquée par la culture arabe – enfin, ce qu’il en reste. Elle s’oppose à toute occidentalisation du mode de vie, dans un rappel à la tradition et aux racines de l’islam.
On le voit, le mode de vie des femmes de Kaboul a radicalement changé en quarante ans. Qu’en pensent les jeunes afghanes d’aujourd’hui? Ont-elles gardé dans un coin de leur maison ces photos de leurs mères?
Et si oui, les regardent-elles avec nostalgie, ou au contraire sont-elles convaincues d’avoir chassé le mal occidental de leur pays?
Que signifie le mot liberté dans ce pays?
Et comment une société fait-elle pour passer d’un mode de vie libéral, préservant les libertés individuelles contre tout totalitarisme, à un autre mode de vie oppressant, collectiviste, imposé par les armes?
Commentaires
Vos questions me rappellent le voyage qu'on fait Anne-Marie Schwarzenbach et Ella Maillart en 1939-40 à Kaboul. Voyant ces femmes couvertes de haut en bas, muettes, elles se réjouissaient d’avoir le privilège, comme femmes, de pouvoir leur parler seules à seules et de leur demander comment elles voyaient leur vie, leur condition, etc. Déception: ces femmes n'avaient rien à dire, ne pouvaient répondre, ne portaient pas le moindre jugement sur quoi que ce soit. C'est aussi ce qu'observe une essayiste qui a écrit "Les femmes afghanes", elle a fait la même expérience.
Lorsqu'on vous apprend toute petite que vous avez la malchance d'être née femme, inférieure, et que vous n'existez que pour faire des enfants et servir le maître, vous croyez qu'Allah vous a vouées à ce triste sort. J'imagine que c'est à nouveau le cas aujourd'hui et que ces femmes n'ont pas la moindre occasion d'apprendre qu''à une autre époque, leurs mères et grand-mères pouvaient prendre leur vie en mains.
Toutes les considérations sur la relativité des valeurs, la spécificité irréductible des cultures, la nécessité de lutter contre l'européocentrisme, les aliénations qui peuvent toucher les êtres humains (et notamment les femmes) en occident... Toutes ces considérations sociologiques, géopolitiques, anthropologiques, qui se défendent très bien sur le plan des idées pures, sont réduites à rien en regardant la juxtaposition de ces photos. Il est impossible, en constatant l'évolution de la situation, de ne pas sentir (de ne pas RESSENTIR) que quelque chose de mauvais, de malsain, de pervers est arrivé pour entraîner cette évolution. Les phrases et les concepts les plus subtils du monde ne justifieront jamais qu'on s'acharne à dissimuler la physionomie humaine de cette manière.
"Et comment une société fait-elle pour passer d’un mode de vie libéral, préservant les libertés individuelles contre tout totalitarisme, à un autre mode de vie oppressant, collectiviste, imposé par les armes? "
La guerre, tout simplement, longue et meutrière
Madame Vallette,
Permettez moi s'il vous plaît de vous faire part de ma très grande joie de pouvoir vous lire ailleurs que sur "Le Boulevard de l'islamisme". Pour ne point vous importuner avec des questions que vous ne sollicitez pas, cette excursion signifie-t-elle que vous recherchez à établir un quelconque dialogue ?
Je confirme. J'étais à Kaboul en 1976, puis en 1978 lors de l'arrivée de premiers chars russes. Les jeunes femmes étudiantes avaient des costumes bleus dont la jupe arrivait en dessus du genou.
Je confirme aussi.
J'étais à Kabul en 1971 au temps du Roi Zaher Shah, puis en 1974 au temps de son cousin Mohammed Shah, et enfin en 1976, toujours sous Mohammed Shah, juste avant que la sombritude communiste commence à envahir ce beau pays.
En 1971, avant de partir en direction de l'Est par la route, quelques jours avant le début de la guerre pakistano-indienne, je me promenais dans les rues de Kabul, tout en parlant avec mon regretté vieux camarade Alex Rosen, en déambulant.
Soudain, nous entendons une voix féminine derrière nous :
" Vous êtes français ?"
Nous nous retournons, et nous voyons une personne voilée, dans ce tchador bleu qui ne laisse rien filtrer.
" Non, mais nous parlons français. Comment se fait-il que vous parliez si bien le français ? " lui ai-je demandé.
La forme me répond :
" J'étudie le français à l'Alliance française ".
Je lui demande alors :
" Est-ce que je peux voir votre visage ? "
Je devine un mouvement de tête de droite à gauche, assez ample comme pour observer, puis elle relève le voile : et je découvre une princesse orientale absolument splendide, avec les yeux noisette et un visage d'une pureté extraordinaire.
" Vous êtes magnifique... " lui ai-je alors dit, stupéfié par tant de beauté.
Elle remit rapidement son voile et m'avoua :
" Je suis désolée, mais je ne peux pas rester à parler avec vous, si mon oncle ou mon frère me voient, je risque d'avoir des ennuis... Au revoir..."
Et elle est partie dans la foule, je ne l'ai plus jamais revue.
Mais je ne l'ai jamais oubliée...
Waouw Keren Dispa, quelle aventure ! Les mille et une nuits en quelques phrases. De quoi rêver un moment.
Oui, je me rappelle bien que le français était enseigné dans les écoles de Kaboul et les étudiants raffolaient de pouvoir pratiquer avec les touristes.