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Citoyen, militant, participatif : les mots pour ne pas le dire

La Suisse ne goûte pas au grands mots ni aux superlatifs. En France par contre c’est une addiction. On ponctionne et détourne le vocabulaire pour donner un supplément de légitimité aux choses. Par exemple: citoyen.

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La Tribune de Genève du 31 mars publie un article de Xavier Alonso. Sujet: l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une petite population s’oppose de manière farouche à sa construction bien que le récent référendum local ait donné un résultat favorable au projet.

Les opposants se parent de la tunique de la citoyenneté pour rendre légitime, au moins moralement et médiatiquement, un refus qui nie le vote populaire et n’hésite pas à recourir à l’émeute pour faire en sorte que le chantier ne puisse commencer. Ils parlent même d’insoumission citoyenne.

Le terme citoyen est aujourd’hui principalement un substantif. Il se rapporte à des personnes et non à des actions ou des choses. Charles Baudelaire considérait pour sa part l’apposition comme une tricherie. Le dictionnaire cnrtl.fr mentionne aussi une forme vieillie adjective, ou apposée au nom – comme on dirait une femme médecin.

Du point de vue formel il n’est donc pas erroné de l’accoler à une attitude ou à une initiative pour autant que le sens soit clair.

 

 

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Le substantif citoyen désigne un membre d’une communauté politique organisée. On parle de citoyen genevois, français, zimbabwéen. C’est un statut attaché à une personne et non à une chose. Ce statut est universel et concerne tous les membres la collectivité.

Aujourd’hui cependant ce terme désigne beaucoup de choses qui devraient être considérées comme partisanes, donc non universelles. L’expression primaire citoyenne de la gauche par exemple pourrait être traduite par primaire des partis de gauche. Elle concerne le corps électoral dans une logique de parti: elle est partisane et non citoyenne.

De même l’insurrection dite citoyenne contre le projet d’aéroport NDDL est partisane et défend une certaine idée du bien commun – ressources écologiques et terres de paysans. Sert-elle la collectivité dans une perspective plus large? Ce n’est pas certain.

Pour voir plus loin que la mare d’à côté revenons à Notre-Dame-des-Landes. Ce projet d’aéroport, déjà ancien, pourrait donner un coup de pouce important à la moitié ouest de la France.

L’auteur de l’article de la Tdg compare les volumes de passagers entre Genève-Cointrin, soit 14 millions de voyageurs, et l’actuel aéroport de Nantes qui selon lui « plafonne » à 4 millions. Le terme plafonne n’est pas neutre. Il désigne des réalités quantifiables et comparables a priori, soit des passagers. 

Il porte cependant un jugement subtilement dénigrant sur le chiffre de Nantes. C’est ainsi qu’un journaliste distille une idéologie. En acceptant ce mot sans le discuter nous acceptons aussi la vision idéologique qui le sous-tend.

 

 

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Poussons la comparaison. Genève-ville abrite moins de 200’000 habitants; Nantes-ville environ 300’000. Genève-canton est peuplée de près de 500’000 habitants; Nantes-métropole, environ 630’000. La région Pays de la Loire dont Nantes est la préfecture est peuplée de 3’670’000 habitants.

La comparaison révèle que Nantes et sa région sont plus peuplées que la région desservie par l’aéroport de Cointrin (image 3, Ass. genevoise des amis du Salève). À Nantes, on peut ajouter la Bretagne, une partie de la Normandie, de la Nouvelle-Acquitaine  et du Centre-Val-de-Loire. Soit une large portion centre-ouest du pays, ce que l’on nomme le Grand-Ouest.

Avec plus de 4’000’000 passagers par an l’aéroport actuel est à saturation. Pourtant il continue à se développer rapidement en particulier grâce aux vols à bas prix. Des liaisons directes relient l’ouest à de nombreuses villes de France et d’Europe, jusqu’en Grèce. Il y a même une liaison avec Genève. Sans compter les destinations vers le Canada, les Antilles et l’Afrique du nord et de l’ouest.

Le nouvel aéroport contribuerait au développement économique et culturel (image 5, festival interceltique de Lorient) d’un vaste territoire jusqu’alors parent pauvre des décisions parisiennes.

Dès lors au nom de quoi une poignée d’écologistes radicalisés refusent-ils – par la contrainte et la violence – les décisions de justice et le vote démocratique du référendum de 2016? Au nom d’un régionalisme qui s’apparente à un nationalisme extrémiste ou à un souverainisme local replié sur lui-même et étanche à la notion de progrès économique.

 

 

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Bien que très violents et intolérants à la démocratie ces écologistes arrivent cependant à se faire passer pour victimes quand il y a des émeutes. Ils sont la frange la plus conservatrice et réactionnaire de la société française. Ce qui au passage affaiblit singulièrement le sens du clivage progressiste-conservateur, ou souverainiste-mondialiste.

Le terme citoyen apposé à de nombreuses actions me paraît donc souvent inapproprié. Il alimente un discours grandiloquent que le maire de Champignac n’aurait pas désavoué. Mais il n’est pas le seul à enlaidir la langue française de superlatifs pompeux.

Le mot militant, par exemple. C’est à la fois un adjectif et un substantif. Quelle que soit sa forme il désigne uniquement des personnes et non des objets ou des actions. Par exemple je trouve souvent l’expression blog militant sur le net. Or un blog ne milite pas. Son auteur milite, il exprime son combat dans des écrits. Mais un blog ou une action, ne sont pas dotés de la personnalité morale du vivant, qui seul peut militer.

Donc, même si l’on comprend l’idée, il s’agit encore d’un détournement de sens et d’une amplification visant à légitimer une action personnelle.

Une manière de se hausser au niveau d’une dimension supra-personnelle et par là de renforcer sa propre légitimité personnelle? Je le pense.

Participatif est également avancé comme une généralité bienveillante qui vise à inclure tout le monde. C’est abusif. D’une part toute action qui concerne plus d’une personne est participative par nature (que la participation soit active ou passive), puisque plusieurs y participent. D’autre part elle contient de manière implicite l’idée que participatif c’est moralement bien.

 

 

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On retrouve la morale du bien et du mal dans un domaine où elle n’a pas à se trouver. Or, ce qui peut être bien ou mal, c’est le résultat ou la finalité d’une action, non pas son déroulement technique. Voter est une action que l’on pourrait qualifier de participative, mais le faire ce n’est pas particulièrement un signe du bien, et s’abstenir n’est pas mal.

Enfin, le mot républicain. La république est un mode d’organisation d’un pays. Tout ce qui se passe de politique dans ce pays, si ce n’est pas sanctionné par la loi, est républicain par défaut. Rajouter cet adjectif est un pléonasme, et une division arbitraire et discriminante des citoyens. Pascal Decaillet le mentionnait justement dans un récent billet.

Ces dérives du sens servent en général à éviter de désigner une idée ou une action avec la précision qui en rend son auteur pleinement responsable. Parler d’initiative citoyenne, de blog militant, d’action participative, c’est tenter de leur donner une valeur universelle, impersonnelle et donc plus légitime que si l’on disait « Je ». Ces termes sont les « On » modernes, ceux qui cachent le « Je » et servent à opacifier ou rendre confuse la réalité des choses.

Et je ne parle même pas de toutes les Hautes Autorités à quelque chose, qui polluent l’espace intellectuel et confèrent à leurs membres un sentiment de supériorité morale imbuvable. Ainsi la Haute Autorité de la primaire, la Haute Autorité de ceci, de cela.

Ce sont des mots pour ne pas dire les choses comme elles sont.

Cette dérive, ce confusionnisme du sens, va perdurer quel que soit le résultat de la prochaine élection. La mentalité française n’évolue pas.

 

 

 

 

Catégories : Environnement-Climat, Philosophie, Politique, société 2 commentaires

Commentaires

  • Vous pouvez ajoute au glossaire la "société civile". Un mot qui ne veut rien dire mais qui fait semblant de donner de la légitimité a n'importe quelle association qui n'a pas de légitimité démocratique.

    Exemple "la société civile" pour le grand Genève.

    On pourrait aussi parler "d'associations autogérées" un autre grand morceau de novlang, mais on s'éloigne du sujet...

  • J'allais écrire mot pour mot la première phrase du commentaire de Eastwood ! J'ajouterai que la société civile, c'est les ONG, les syndicats, les associations, qui, comme chacun le sait, sont évidemment politiquement neutres...
    Helvetas a fait campagne contre RIE III. Lisez ses statuts juridiques, vous aurez l'impression de lire ceux de la Ligue marxiste révolutionnaire...

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