Combien de québécoises ont tenté de contraindre un homme à une relation sexuelle au moins une fois dans leur vie? Une étude récente donne un chiffre que peu de gens auraient imaginé.
L’étude porte sur les femmes et la contrainte dans la séduction. Elle a été réalisée par Geneviève Parent (image 1), professeure au Département de psychoéducation et de psychologie que l’Université du Québec en Outaouais, et publiée à fin mars.
Geneviève Parent a questionné près de 300 femmes. Ce n’est pas 1’000 ou 2’000 mais cet échantillonnage donne une idée des choses malgré la marge d’incertitude qu’il implique. Les résultats de cette étude ne sont pas très éloignés de ceux obtenus par d’autres enquêtes.
Selon l’étude plus de 40% des femmes québécoises auraient déjà tenté d’obtenir d’un homme des relations sexuelles contre son gré. Près d’une femme sur deux. Pour la professeure:
« C’est un pourcentage très élevé, ça nous a surpris, mais ça s’explique sans doute par le fait que nos questions étaient très, très larges ».
Elle précise encore:
« Dans les 41 %, on inclut celle qui, à l’âge de 17 ans, a essayé une fois de bouder pour avoir des préliminaires et celle qui a intoxiqué ses partenaires à de multiples reprises pour avoir des relations sexuelles complètes, il y a donc des nuances à apporter ».
Premier élément intéressant: on devrait avoir la même prudence d’interprétation quand on analyse des études sur les inconduites masculines, et en général sur tout ce qui a trait aux violences de couple d’où qu’elles viennent.
D’ailleurs la chercheuse pense, après comparaison avec d’autres études sur la violence sexuelle féminine, que la moyenne serait plutôt entre 15% et 30%.
« C’est extrêmement variable d’une étude à l’autre, ça dépend toujours de la façon dont les questions sont posées ».
C’est l’évidence.
Aucune des femmes interrogées n’a signalé avoir utilisé la violence pour contraindre l’homme. Comment s’y prennent-elles alors?
« … le tiers affirmait avoir utilisé des stratégies de séduction insistante, continuant de toucher ou de caresser la personne malgré son refus. »
Pas de violence physique relevant du pénal – différence de force oblige, sans doute – mais des stratégies pas si différentes de celles des hommes:
« Les femmes vont avoir tendance à utiliser des méthodes considérées comme plus subtiles », constate la chercheuse, qui s’étonne toujours de voir comment certains gestes — par exemple, une main sur la cuisse d’une personne non consentante — ne suscitent pas la même indignation lorsqu’ils sont commis par une femme. »
Pourquoi? Parce que les femmes bénéficient d’un préjugé positif: « … dans l’imaginaire collectif, les représentations sociales relatives aux caractéristiques et traits des femmes ne sont pas compatibles avec les violences sexuelles. Elles sont perçues comme douces, protectrices et on ne leur attribue généralement pas d’agressivité ou de désirs sexuels ardents. »
J’ai déjà documenté ici l’exemple d’une chroniqueuse de TPMP. Elle avait touché par surprise le sexe d’un de ses voisins pour vérifier s’il bandait. Cela n’avait suscité aucune désapprobation. Le CSA ne s’est pas saisi de l’affaire.
TPMP n’est pas une émission culturelle. Il faut la prendre comme l’expression de « ce qui est considéré comme banal » et fun aujourd’hui entre les personnes. Le biais de perception et de jugement sur les comportements à connotation sexuelle est manifeste.
La chroniqueuse Isabelle Morini-Bosc l’a encore montré le 18 avril, en touchant les fesses de l’animateur (à 5’16’’, geste rapide répété ensuite). Si TPMP est une grande famille, comme le revendique Cyril Hanouna, c’est une famille incestueuse… Et le geste de la chroniqueuse? Elle-même en rit. Personne ne réprouve. C’est donc la normalité. Cette normalité nous dit que le même geste n’est pas apprécié de la même manière. Homme ou femme, nous ne sommes pas à la même enseigne.
De même, préjugé pour préjugé, ou plus probablement à cause de la dissymétrie des relations femmes-hommes, les femmes mettent en place, dit Geneviève Parent, un « script sexuel selon lequel l’homme ne peut refuser des relations sexuelles, car il est attendu qu’il soit un perpétuel demandeur de celles-ci. (…) … face à un refus, la femme vit des « tourments émotionnels (honte, culpabilité, colère) provoqués par « l’incongruence avec son script sexuel ».
Cette étude souligne en creux l’importance de ne pas mettre tous les comportements ou actes dans le même panier. Les relations amoureuses doivent bénéficier d’une zone grise, un espace d’approche où les personnes concernées s’exposent, se testent, s’acceptent ou se refusent.
Dans cette approche, l’insistance, mal vécue par les uns et les unes, sera appréciée par d’autres comme signe de l’importance qui nous est accordée. Nous sommes différents. Nous ne sommes pas tous et toutes dans une catégorie unique et il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement.
Les codes relationnels sont aujourd’hui questionnés. D’un côté on voudrait en durcir la définition et la pénalisation, à cause peut-être de ce qui est perçu comme un laxisme depuis quelques décennies (cf affaire Weinstein). De l’autre on souhaite délimiter et différencier plus clairement ce qui doit être réellement mis au pénal de ce qui doit être géré de personne à personne, au nom d’une liberté individuelle exceptionnelle gagnée depuis un demi-siècle.
Le Oui ou le Non entre deux personnes est le contrat de base, la délimitation initiale. Pour savoir si c’est oui ou non, on peut soit le demander, soit essayer, comme quand deux ados se prennent la main ou l’épaule sans demander à l’autre son consentement: il viendra ou non après. Cela n’est pas forcément un harcèlement ou une agression.
Il faut une juste mesure des choses et une marge de liberté par rapport aux codes. Une main de femme qui traîne sur la cuisse d’un homme peut être inconvenante pour l’homme mais ce n’est pas une agression. La littérature décrit souvent des situations de sollicitation-résistance, qui ne sont pas des agressions sexuelles pour autant.
La gestion de personne à personne, en situation, permet de convoquer le ressenti, de comprendre si besoin l’éventuel malentendu, d’accepter le possible refus, et si nécessaire de faire amende honorable et d’en tirer l’objet d’un travail sur soi.
Gérer son propre désir pour l’autre s’apprend, souvent grâce au Oui, au Non ou au Peut-être de l’autre. Enfin, il me semble.
Pour illustrer ce billet avec un clin d’oeil, une chanson dont je suis auteur des paroles et Steven Shalam le compositeur et interprète. C’est assez différent de ce que j’écris habituellement: