Aujourd’hui le héros de ma belle histoire est exceptionnel. Il n’est ni une personne, ni un animal, ni un objet. Si vous parlez le créole, vous avez peut-être déjà deviné. « Fwomajé » est le nom créole d’un arbre.
Et pas n’importe lequel: le fromager.
C’est un grand arbre qui pousse entre autres sur les îles chaudes, en Amérique du sud et centrale, et en Afrique équatoriale. Il peut atteindre 70 mètres de hauteur. Ses larges racines l’ancrent dans le sol comme des contreforts de montagnes (image 1, clic pour agrandir). Crédit image: Monique Gosselin, Association de la Protection du cadre de vie de Lédenon-Gard. Sur le site on trouve d’autres images magnifiques.
Son tronc est couvert d’épines dures et épaisses (image 2, idem). Il produit des fruits qui contiennent une matière imputrescible très usitée autrefois avant l’apparition des fibres synthétiques: le kapok (image 3, idem). Le kapok sert à rembourrer les coussins et tissus matelassés. D’où le surnom d’arbre à kapok.
Le fwomajyé (autre orthographe), ou mapou wouj aux Antilles, a donné de son bois pour fabriquer des boîtes à fromage. Cela expliquerait son nom. Le Ceiba pentandra (en latin) est parfois considéré comme sacré et des initiations spirituelles se déroulent sous sa protection.
Le nom de fwomajé a été adopté par un collectif d’artistes martiniquais fondé par le peintre Ernest Breleur en 1984.
Un de ses contemporains décrit ainsi l’artiste:
« Dans un ouvrage publié en 1990, La Voie du fwomajé – L’art du dedans, Fernand Tiburce Fortuné le décrit comme « enraciné dans le pays profond, mais tendu vers l’avenir » exprimant ainsi l’intention du groupe de faire un «art du dedans » à la fois caribéen et contemporain, reflet du patrimoine multiculturel et pluriethnique de l’île. »
L’histoire du fromager a aussi été terrible. Selon Wikipedia:
« Le fromager servait a punir les esclaves récalcitrants : ils étaient attachés par des liens en cuir que l’on mouillait, les rayons du soleil se chargeant de les rétrécir provoquant ainsi l’entrée des épines dans les chairs du supplicié, lacérant la peau. »
Mais pour les Mayas:
« Il était associé avec les lieux de pouvoir, politique ou religieux. Cet arbre sacré était parfois représenté sous forme d’une croix, ce qui a favorisé l’adoption du christianisme à l’arrivée des Espagnols. »
Mais faisons un saut dans le passé. En mai 1902.
En Martinique la ville de Saint-Pierre, ancienne capitale du rhum, est située au pied du volcan de la Montagne Pelée. Le volcan, qui manifestait des signes de réveil depuis environ deux ans, explose.
« … tout à coup, le flanc sud-ouest du volcan se déchire largement à mi-hauteur créant une onde de choc de la force de 10 bombes atomiques. La plupart des citadins furent tués sur le coup. Une grande partie de la ville fut littéralement soufflée… »
« D’énormes nuages noirs sillonnés d’éclairs atteignirent des hauteurs vertigineuses. Ils recouvrirent l’île de cendres. Au même moment une gigantesque masse gazeuse, chauffée à plus de huit cents degrés, dévala les pentes. »
« Nombreux Pierrotins avaient choisi d’embarquer dans les bateaux qui mouillaient dans la rade. Ils croyaient que si le volcan se réveillait, ils pourraient ainsi fuir rapidement. Sur les 43 bateaux ancrés ce jour là, 42 bateaux furent perdus. La nuée après avoir ravagé la ville a soulevé une série de vagues énormes. Les bateaux sont à la fois assaillis par le volcan et la mer. Car le ressac fait se briser les chaînes d’ancre et la nuée souffle les superstructures et les cheminées à vapeur. Tandis que les gréements et les voiles sont consumés sur place. Les malheureux qui tentent de fuir en se jetant dans la mer sont bouillis sur place. »
Et enfin:
« En quelques 69 secondes la capitale du rhum s’évapora ainsi que ses 29000 habitants. Tous n’eurent pas la même fin. Certains mirent plus de 48 à 72 heures à agoniser de leurs brûlures ainsi que de l’asphyxie engendrée par l’inhalation des gaz. De la ville, il ne restait qu’un amas de pierre. La plupart des façades réduites à 1 mètre de hauteur. »
La ville fut officiellement rayée de la carte pendant 10 ans. Les restes seront pillés pendant des mois.
Mais où est la belle histoire? Celle-ci est dramatique et n’a rien de plaisant ni d’enviable.
La voici.
Sur la commune de saint-Pierre un fromager faisait face au volcan au flanc déchiré. Il a été entièrement calciné par la nuée ardente. Un fwomajé vieux de 300 ans. C’est le Fromager de Saint-Pierre.
Pendant des années il est resté comme mort.
Et pourtant, peu à peu, au fil du temps (certains parlent de 50 ans), il a recommencé à bourgeonner. Il s’est réveillé comme d’un très long sommeil. Cet arbre calciné par une nuée pyroplastique de 800°, effeuillé, à l’écorce carbonisée, sur une terre elle aussi brûlée, recouverte de cendres et de pierres volcaniques, devenue aride, cet arbre que l’on croyait perdu est revenu à la vie.
Aujourd’hui il atteint un beau volume foliaire (images 5 et 6). On voit aussi comment la nature a repris sa place sur la terre, même sur les pentes du volcan, avec prairies et forêts (7). En seulement 100 ans. On ne voit plus les stigmates de la catastrophe.
C’est elle, ma belle histoire: le retour à la vie d’un arbre sorti de l’enfer, et, partant, la résilience inouïe de la nature.
Mais la Terre est ce qu’elle est, rien n’est définitif. Une info donc pour compléter ce billet: j’ai lu que les volcanologues en charge de la surveillance du volcan ont détecté 178 séismes dans la Montagne Pelée en une semaine à fin août. En avril 312 séismes avaient déjà été détectés en une semaine. Puis 77 en juillet. Ils sont (encore) faibles mais la vigilance a été relevée en niveau jaune, 2ème niveau d’alerte sur une échelle qui en compte 4, dès la fin 2020.
« Ces séismes, d’énergie particulièrement faible, ont été localisés à l’intérieur de l’édifice volcanique entre 0.2 km et 1.2 km sous la surface. (…) Cette sismicité superficielle de type volcano-tectonique est associée à la formation de micro-fractures dans l’édifice volcanique. »
Et travaille encore:
« Même si, en l’état actuel des mesures il n’y a pas de déformation du volcan à l’échelle du réseau d’observation, l’apparition, en quelques mois, de ces trois différents types de signaux sismiques d’origine volcanique montre un changement clair du comportement du système volcanique, dont l’activité est en augmentation par rapport au niveau de base observé sur plusieurs décennies. »
La montagne travaille mais le fwomajé vit.
https://www.flickr.com/photos/bagolina/6513612907
Commentaires
Hola Homme Libre,
Votre belle histoire (parmi les autres catastrophes et/ou horreurs que vous racontez), renforce l'idée que les humains nousd sommes bien fragiles et minuscules,...
Et elle rejoint ce poème que vous aviez lu:
À un orme desséché
Sur le vieil orme, fendu par la foudre,
pourri en son milieu,
avec les pluies d'avril et le soleil de mai,
ont poussé quelques feuilles vertes..
Merci, bonne journée.
Hola Colette,
Le poème colle juste avec cette histoire, il la raconte autrement.
Ce m'était étrange de parler de ces drames pour la belle histoire, mais ils renforcent le symbole de la renaissance de l'arbre.
Merci à vous, bon dimanche.
ça me fait penser à une belle chanson, un grand classique qui parle d'un vieux cheval qui retrouve l'amour avec toutes sortes de référence imagées à la nature qui retrouve sa verdeur. "Caballo viejo" (Vénézuela) https://www.youtube.com/watch?v=UMhfulZu8r8