Belle histoire (34) : entre terre et ciel.
Chantal Delsol affirme que la démocratie tient sur un socle indispensable: le sens commun. Le sens commun est une notion à la fois floue et palpable. Comment le définit-elle?
Voici ce qu’en écrit la philosophe française:
« Le sens commun, ce discernement de base que tous partagent, dira par exemple : « Il est normal que je préfère mon frère à un étranger que je ne connais pas », ou bien « Pour un adulte, la responsabilité vient avant la liberté : je ne peux pas être libre de tout faire », ou bien « On ne choisit pas son sexe, et il n’y en a que deux ». »
Ce serait une sorte de moule collectif invisible qui tient en des repères communément admis. Dire qu’un homme ne peut pas être enceint tient du sens commun. Qu’une femme n’est pas un homme, sens commun encore.
Poser des limites et revendiquer des appartenances fait partie des fondamentaux qui constituent le sens commun. De cela émerge une identité, individuelle et/ou de groupe. Qui dit identité de groupe dit ressemblance, et ces ressemblances font durer le groupe au-delà de son territoire naturel.
Personne ne refuse aux Sikhs le droit d’avoir une identité propre, et de se reconnaître entre eux, même à l’étranger. J’écoute parfois des interviews de rappeurs, ils revendiquent souvent leur identité, quelle qu’elle soit. La politique pro-minorités leur reconnaît là encore le droit de disposer d’une identité différente. De même aujourd’hui pour les nations autochtones.
Ce n’est pas pour dire, mais il n’y a guère que l’identité caucasienne à qui l’on conteste ce droit. L’homme blanc, et la femme blanche, ont leur histoire, qui mérite d’être contée.
C’est ce que fait l’émission Des racines et des ailes sur France 3. Une des rares émissions où je ne zappe presque pas (je zappe pour chercher des séquences intéressantes. Parfois cela marche).
Cette semaine j’ai découvert la vie de Dominique Dupont (lien ci-dessus, à partir de 1h 15’). Elle a repris la boucherie familiale dans un petit village d’Auvergne, Saint-Cernin. On la suit dans son parcours d’excellence: excellence des bêtes élevées naturellement dans sa région, excellence du travail de ses employés.
Les reportages de cette émission sont d’une rare qualité. On prend le temps de découvrir la personne dans son environnement immédiat, avec ses relations. À chaque fois une histoire locale, posée entre terre et ciel dans un lieu donné, touche à l’universel de l’humanité.
Le sens commun est là: la terre où nous sommes nés nous imprègne. Elle est nous et nous sommes elle. Ses odeurs, ses paysages, sa lumière, ses bruits, ses bêtes et ses hommes nourrissent notre imaginaire. Cette appartenance à sa terre est une constante dans toutes les sociétés d’origine rurale.
Dominique Dupont la bouchère n’a pas les ambitions d’un monarque politique. Son univers est fait de quelques kilomètres carrés de douce montagne, de prairies, de races de vaches rustiques bichonnées par des éleveuses déterminées.
Dans cet univers elle est un maillon d’un mode de vie simple et authentique. Dans les années 1950 le village mourait faute d’habitants. Puis une politique d’accueil a fait revenir commerces et habitants. Aujourd’hui Saint-Cernin respire.
Une fois l’an les commerçants proposent une grande grillade en plein air sur la place de l’église. Ils offrent leurs spécialités au public. Tous les âges s’y pressent. La vie est bien revenue.
La terre, notre terre, fabrique de l’âme. L’aimer et la protéger fait partie du sens commun. S’en sentir responsable, et un peu propriétaire, est naturel, même si initialement la terre n’appartient à personne.
Il faudrait, dans une perspective politique, analyser tous ces termes dans leur contexte. Mais la terre et le village sont d’une telle densité d’informations symboliques implicites qu’à moins de vouloir en faire une encyclopédie – ce n’est pas mon cas – je préfère prendre le tout comme il est.
Quelque part entre terre et ciel la vie peut être bonne. Elle est bonne entre autre grâce à ces personnes comme Dominique qui restent là où elles sont, loin du bling-bling et de la bruitaille des grandes villes. Les petits invisibles sont comme les pattes d’une chenille: nombreux, indistincts et essentiels.
On ne retiendra pas leur nom dans les livres de la grande Histoire mais en reproduisant la petite histoire de leur terroir Dominique et les autres participent à une transmission incarnée, la transmission de ce qui fait cette vie bonne.
Une belle histoire.
Commentaires
Ah Monsieur Goetelen, admirable réflexion. Pour les sociétés traditionnelles que ,l'Occident appelle "primitives", l'homme né entre ciel et terre était nomade, la Terre était sa Mère nouricière , Comment peut-on posséder sa mère ? On ne peut que l'aimer et la respecter. Avec le 'progrès' l'homme s'est sédentarisé, a pris possession de la Terre, s'y est fixé et a commencé à l'épuiser. Dans le Sahel, l'homme ne peut survivre qu'en suivant la nature. S'il refuse de quitter sa propriété, il meurt !
Merci pour cette "belle histoire" John, nul besoin de me convaincre de ce lien à la terre, loin du bling-bling.
Certaines terres sont hostiles, mais dernièrement je vois/lis de plus en plus d'exemples de terres stériles, asséchées remises en culture, plantation, peu à peu. Et ceci fait chaud au coeur de ceux qui ne voyaient pas d'autre solution que s'en aller ailleurs.
Vivre en ville est devenu presque partout une telle source de stress, de pollution, de pauvreté aussi....
Bonne journée !
Hola Colette,
Vous en parlez souvent et fort bien de votre lien à la terre. Se réveiller avec un jardin à ses pieds, et plus loin de si belles collines et montagnes, c'est une belle opportunité.
La nature peut être très résiliente et cela fait chaud au coeur, oui. Cela demande de l'accompagner sur le long terme, et parfois de trouver des solutions hydrologiques selon la région.
Si la végétation est venue sur une planète à l'origine aride et invivable, elle doit pouvoir revenir encore.
Dans certains cas comme les désert ce peut être très long,. On sait que le Sahara a connu une période humide et verte il y a quelques milliers d'années, mais la sécheresse y est revenue. Dans un désert, refaire un sol prendra des siècles ou davantage, parce qu'il faut des étapes successives de végétaux pour recréer un humus.
Beaucoup est possible si l'on se donne le temps et une politique judicieuse. Mais il faut aussi de l'eau régulièrement. Elle était justement revenue sur le Sahara, puis elle est repartie. En cause possiblement: les variations des courants aériens.
Je pense souvent à l'Espagne, très influencée par les courants chauds et secs. L'eau y a toujours été surveillée. C'est un pays où l'on ne peut simplement laisser faire la nature à cause des risques récurrents de sécheresse. Il faut l'accompagner.
Bien à vous Colette, bonne journée.