Il a donc plusieurs fois été mis à la sauce jazz, et pourtant Jean Cocteau disait de lui qu’il était sans sauce. Entendez par là: sans liant, sans ce flou ouaté qui l’aurait classé durablement parmi des maîtres impressionnistes. Etait-il trop modeste? Ou aimait-il trop rire de lui-même pour s’abandonner durablement aux langueurs mauves de nymphéas sonores?
Pourtant les Gnossiennes et les Gymnopédies peuvent être entendues comme des épures impressionnistes. Des épures, oui: pas de fioritures, pas de blabla. Erik Satie est limpide, dans la douceur comme dans dans la provocation. Une musique épurée, juste l’essentiel. Ce qui suppose un gros travail intellectuel et émotionnel, car épurer sa musique, ou épurer un texte, c’est aussi s’épurer soi-même.
Changement d’ambiance aujourd’hui. On verra dans l’extrait jazz que je propose que les musiciens actuels sont eux aussi allés loin dans l’épure du langage musical d’origine, largement réinventé. Satie est un compositeur qui autorise à toutes les fantaisies.
Quelques mots d’abord sur la pièce d’aujourd’hui, «Parade». Très différente de la délicieuse Gnossienne d’hier. Elle a été écrite en 1917 soit au début du mouvement dada. Ce mouvement artistique hautement provocateur a éclaté à travers l’Europe comme une tornade contre le conformisme de l’époque, contre l’aveuglement de la guerre et du nationalisme belliqueux. Il était en rébellion ouverte contre les conventions artistiques et politiques. Mouvement dont Marcel Duchamp fut l’un des représentants, lui dont on se souvient surtout de l’urinoir renversé qu’il voulut exposer à New York en 1917. C’était un canular destiné à provoquer le conformisme artistique de l’époque, mais il fut refusé.
Ici l’histoire de l’urinoir de Duchamp.
Pour en revenir à Parade, Erik Satie a écrit une musique de ballet. Une musique iconoclaste où le compositeur fait dans la dérision. Alors que des hommes meurent par millions sur les champs de bataille, Paris s’amuse et refuse la déprime, comme si en s’amusant on refusait aussi le sang versé au nom des Seigneurs de la guerre. Satie fait scandale. Mais il reçoit le soutien de Cocteau et de Picasso. Serge Diaghilev produit alors le ballet. Les musiciens croient d’abord qu’il s’agit d’une musique de café-concert: ils peinent à comprendre l’humour, la dérision et le côté provocateur de Satie. Cocteau rapporte à ce sujet une anecdote piquante. Lors d’une répétition, un flûtiste dit au compositeur:
- Monsieur Satie, il paraît que vous me trouvez idiot.
Et Satie répond:
- Non, je ne vous trouve pas idiot. Maintenant, je peux me tromper.
:-)
Voici donc un extrait de Parade:
Et en jazz version Satierik Trio: