Alors que les cerisiers du Japon font tomber une deuxième neige sur le pays, et que les habitants sortent et déjeunent sur l’herbe dans l’abondante moisson de pétales blancs et roses, un voyageur solitaire suit sa route de plus en plus loin, hors de ce monde.
Dans les parcs et les prairies, sur les étangs, les japonais vont contempler ce symbole de leur terre natale. La prodigieuse chevelure des arbres couvre le ciel, et le coeur des habitants s’ouvre comme un bourgeon. (Cliquer pour agrandir)
Là-bas, très loin, si loin, plus de neige ni de chevelure, sauf celle aléatoire d’une comète croisée au hasard du voyage.
Voyager 1 mérite son nom. La sonde de 800 kilos lancée il y a 35 ans, après avoir parcouru 18 milliards de kilomètres, vient d’être officiellement déclarée hors du système solaire par les responsables de la Nasa. Elle a photographié presque tout le système grâce à l’alignement des planètes des années 1980. Elle sonde son environnement et mesure encore la vitesse des vents solaires.
Or depuis 2010 ces vents de particules éjectés par notre étoile étaient devenus latéraux, puis étaient tombés à une vitesse nulle. Depuis 2011 il y a même des turbulences et des vitesses négatives, signifiant l’inversion des mouvements de la région où se trouve la sonde. Elle est encore dans ce que les scientifiques nomme avec humour les limbes, soit une zone où l’héliosphère est terminée mais où l’espace galactique n’est pas encore totalement dominant. Une zone de transition où les influences se mélangent. Mais il est certain qu’elle n’est plus dans la sphère du système solaire.
Dans deux ou trois ans, peut-être avant, la Nasa s’attend à un choc magnétique sous forme d’une augmentation brutale. Ce jour-là Voyager 1 sera bien dans l’espace galactique interstellaire. Elle aura quitté définitivement son berceau et le soleil ne sera plus pour elle qu’une étoile parmi d’autres.
Quelle fantastique aventure que cette sonde rudimentaire par rapport à ce qui se fabrique maintenant, et qui continue fidèlement à envoyer des messages qui prennent presque 24 heures à nous parvenir, captés par des antennes de presque 100 mètres. Un peu comme le chant d’un rossignol dans une ceriseraie du Japon, que l’on capterait en Europe avec un micro géant.
Sa pile fonctionnera jusqu’en 2025. De quoi nous raconter encore un peu se qui se passe dans le nuage de gaz galactique où elle s’enfonce et contre lequel l’héliosphère fait pression. Après elle continuera sa route en silence.
Et dans 40’000 ans elle entrera dans le système d’une petite étoile rouge, nommée AC+793888. Mais sans énergie elle sera aveugle et ne pourra pas admirer les nouveaux levers de soleils.
Commentaires
Comme je souhaiterai être dans cette sonde pour ne plus voir ces dieux humains; ainsi contempler: l'oeuvre du hasard, du chaos, de l'énergie nucléaire, de l'énergie électro-magnétique, de la physique, de la chimie, de l'effet de la gravitation, les autres mondes...
Ah Pierre, cela fait rêver, n'est-ce pas? Fascinant.
A mon avis nous découvrons en nous-mêmes ce que les autres nous cachent, et nous reconnaissons dans les autres ce que nous cachons nous-mêmes, bien à vous