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Sois belle si tu le peux...

...  sage si tu le veux; mais sois considérée; il le faut.»

Ecrite en 1778 cette phrase montre l’étonnante modernité de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, communément appelé Beaumarchais.

Beaumarchais3-Suzanne-et-Figarook.jpgOn est quelques années avant la Révolution française. L’époque est libertine dans les moeurs et les comportements et libertaire dans la pensée. Le texte de Beaumarchais en rend compte comme un manuel historico-sociologique. Presque comme un manifeste. Les personnages sont issus de la vie telle qu’elle était à l’époque. Il y met en scène un noble tourné en ridicule (ce qui valut à Beaumarchais d’être menacé par la censure qui sévissait à l’époque), sa femme la comtesse, délaissée et prenant amant (et préfigurant le bovarysme à venir), des gens du château et un médecin.

Tous ces personnages ont une étonnante liberté de ton. Et bien qu’il s’agisse d’une fiction elle ne peut être déconnectée de la réalité. Son succès montre que les gens s’y reconnaissaient. Elle a donc valeur de miroir de la société de l’époque.

Dans la question des relations hommes-femmes la phrase citée au début est particulièrement significative. Remettons-là dans le passage dont elle est extraite. Marceline, gouvernante du château du comte, est amoureuse du médecin Bartholo:

«... Mon sexe est ardent, mais timide : un certain charme a beau nous attirer vers le plaisir, la femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit : Sois belle, si tu peux, sage si tu veux ; mais sois considérée, il le faut. Or, puisqu’il faut être au moins considérée, que toute femme en sent l’importance, effrayons d’abord la Suzanne sur la divulgation des offres qu’on lui fait.»

La femme peux tenter de se faire belle - on entend bien qu’il s’agit d’une préoccupation importante puisque placée en premier. Toutefois la beauté n’est pas du ressort de la volonté. La sagesse l’est. «Sois sage si tu veux», c’est-à-dire: «Tu peux décider d’être sage si tu le veux mais tu n’y es pas contrainte», ou en d’autres termes: «Fais ce que tu veux de toi». Le terme sage signifiant, lorsqu’il est question de relations entre les femmes et les hommes, la sagesse du corps, sagesse amoureuse et/ou sexuelle. On entend ici comment plus d’un siècle de philosophie libertine a imprégné les comportements. A l’époque certaines femmes avaient ouvertement un amant. La liberté des moeurs était sur certains points assez proche de ce qu’est la nôtre actuellement.

Enfin: «Mais sois considérée; il le faut». Une priorité de longue date pour les femmes est d’être gardienne de la vertu. J’ai déjà développé ici unebeaumarchais-l-insolent-1996-9308-1282375630.jpg réflexion sur de possibles raisons qui donneraient ce rôle aux femmes plus qu’aux hommes. Cette injonction «sois considérée» peut être comprise d’une part comme si l’apparence prime sur la réalité, même dans la vertu. Et complétée par ce «il le faut», l’auteur indique bien que c’est la seule contrainte demandée. En d’autres termes: «Fais ce que tu veux avec qui tu veux, mais montre-toi digne et ne te laisse jamais mal juger». Ce qui propose une autre compréhension, plus incisive socialement, plus subversive même: l’important était non pas d’être vertueuse réellement mais de préserver sa dignité aux yeux du monde. «Quoi que je fasse, que l’on me considère». C’est une idée très moderne.

Il est aussi intéressant de lire dans la phrase entière: « Mon sexe est ardent, mais timide : un certain charme a beau nous attirer vers le plaisir, la femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit...». Une femme - même la plus aventurée! - parle de ses désirs et de ses craintes, elle dévoile son intimité et son intériorité.

L’ensemble de la pièce montre, à tout niveau social, des femmes libres et n’ayant pas leur langue dans leur poche, sachant dire oui ou non aux hommes, n’hésitant pas à prendre parfois les devants, sachant parler d’elles, au langage direct et parfois crû ou intimiste. Beaumarchais confirme ce qu’un siècle plus tôt Mademoiselle de Scudéry écrivait, ou la liberté des femmes exprimée dans les pièces de Molière.

Une question me vient alors: comment comprendre le portrait de sa mère écrit par Albert Cohen :«...une douce épouse et servante qu’un regard du mari faisait pâlir, sévère regard du mâle assuré de son droit et privilège, grotesque regard impérial de l’animale virilité.» (Carnets 1978, Gallimard, p.10).

(Voir: Le syndrome du couple Cohen)

Beaumarchais.jpgEn regard de Beaumarchais et d’autres signes sociétaux du XIXe siècle, je ne peux tirer qu’une conclusion: le modèle Cohen est un cas à part, un représentant d’une minorité culturelle ou caractérielle. Les femmes et les hommes dans leur majorité ne ressemblent pas à ce modèle.

«A méditer pour comprendre toutes les théories féministes destinées à ce que la vie des femmes ne corresponde plus jamais au portrait de la mère d'Albert Cohen.»

Le XXe siècle a donc continué et poussé plus loin une liberté des moeurs et de la pensée, des femmes et des hommes, qui était déjà bien engagée. Mais alors pourquoi faire du modèle Cohen une généralisation quand historiquement cette image est très minoritaire? Est-ce délibéré, ce qui supposerait une stratégie, ou le fil s’est-il rompu quelque part? Une partie de la réponse est que ce fil de la liberté s’est rompu avec le Code Napoléon, monument de misogynie.

Beaumarchais nous montre l’évidence d’une société bien plus libre qu’on ne l’imagine aujourd’hui. D’ailleurs comment la liberté moderne, celle des femmes et des hommes, aurait-elle pu surgir de rien? L’Histoire en avait déjà posé les fondements et les comportements.

Le mariage de Figaro est une pièce jubilatoire et très instructive. Elle vaut plusieurs manuels de sociologie. D’une joie communicative. A revoir aussi: l’excellent film «Beaumarchais l’insolent». Beaumarchais, un homme libre dans son époque.


Catégories : société 2 commentaires

Commentaires

  • coucou Homme Libre,
    oh, un sexe ardent, ça se voit même sous la feuille de vigne, faut pas être sage, faut croquer la pomme par les 2 bouts ;)))!!!bizzzouxxx!!!

  • Coucou Sarah,

    Je me suis dit la même chose. Après j'ai pensé qu'elle parlait des femmes en général. Je préfère la première hypothèse.....

    :-))))))))))))))

    Vous manquiez!!! J'allais vous envoyer un bouquet de roses pourpres pour que vous ne nous oubliez pas!!!

    Bizzzouxxx!!!

Les commentaires sont fermés.