Un mot de Charly Schwarz sur sa page Facebook m’a inspiré un commentaire. Je le complète et en fais ici un billet. Le propos de Charly était:
«Le fait de mettre l'accent sur les distinctions de statuts, de fonctions, de diplômes perpétue les cloisonnements et maintiennent des rapports de subordination qui suscitent le plus souvent d'avantage de rejet que de respect.»
C’est un constat de société très actuel. Mais faudrait-il gommer de manière artificielle ces distinctions, juste pour que ceux qui estiment avoir un statut moins valorisé soient rassurés?
Il fut un temps où l’individu se définissait par sa place dans la société, en particulier par son travail ou sa réalité familiale. Je ne juge pas le passé. Il serait erroné de vouloir relire l’Histoire avec les critères modernes. Peu à peu la conception de l’individu s’est scindée en une part publique, soit le statut social, la profession, l’argent, et une part privée, soit la manière d’être au monde incarnée dans les qualités personnelles, la sensibilité, la manière de penser et l’éthique.
Dans le monde privé et personnel la hiérarchie n’a pas de place. Chacun est ce qu’il ou elle est sans avoir à se comparer avec d’autres. Le monde privé est en trois dimensions: non seulement le haut et le bas qui induisent une valeur comparative, mais aussi l’espace qui annule cette valeur comparative. Dans la part du privé, la mesure commune n’est pas le statut social, c’est l’éthique. Par contre, dans le monde professionnel, les différences de positions, de fonctions et de titres existent.
Nier ce réel des différences de responsabilités, de formation, de postes, vouloir tout niveler, me paraît porter confusion. Ce serait mesurer la part professionnelle à l’aune de la part privée, à la part de l’être, et inversement: ce serait continuer à identifier l’être par sa seule place sociale. Ce serait aussi «psychologiser» la société à outrance en la nivelant à la mesure du plus plaintif. Plus même: dire que ces distinctions n'existent pas, ne pas les évoquer, pourrait n’être qu'un bluff pour éviter le sujet.
Que cela suscite plus de rejet que de respect n'est que la conséquence de la marxisation des esprits et de son mythe qu'aucune liberté n'est possible si elle n'a été arrachée par un soulèvement contre un oppresseur. Ce serait limiter la liberté à une lutte sociale et à un combat alors qu'elle est d'abord un état. La lutte sociale n'est pas un but en soi, contrairement à ce que suggère la mythologie socialiste: elle n'intervient que quand toutes les autres voies ont été épuisées. Ne faut-il pas plutôt réapprendre le respect, le respect de tous: du plombier comme de l'ingénieur? La subordination impliquée par la différence est opportune dans les relations de travail: l'électricien suit les directives de l'architecte. Logique, non? Pour le reste la subordination n'est que le produit de nos esprits.
On n’est pas subordonné hors de raisons précises et logiques, essentiellement dans le travail et dans les relations entre générations, donc dans un cadre limité n'empiétant pas sur l'être. On peut aussi être subordonné et ne pas se sentir inférieur pour autant.
Les statuts peuvent avoir des valeurs différentes et hiérarchisées, les êtres eux ont a priori une valeur en soi qui n'est pas limitée aux interactions sociales (politiques, professionnelles). Le statut se mesure en deux dimensions: le dirigeant et l’employé. Seul l’indépendant échappe à cette mesure. L'être, lui, se mesure en trois dimensions. Ne pas accepter les différences de statuts sous prétexte de rejet, c'est réduire l'être au statut social, soit à deux dimensions. En ce sens le socialisme est réducteur.
Le libéralisme est l'émergence de l'être au-delà du statut social, la révolution libérale ayant bousculé les castes bien mieux que les anciennes révolutions socialistes ou communistes. Car le projet libéral est fondé sur la liberté, et dans le domaine de la liberté il ne peut y avoir celle de l'un et pas celle de l'autre. En ce sens le libéralisme est un humanisme.
Commentaires
Il me semble que cette discussion, comme toutes d'ailleurs, dépend de l'angle sous lequel on l'aborde.
Je m'indigne avec Charly Schwarz sur la course aux diplômes qui tendent plutôt à mesurer le besoin de confirmer des aptitudes par un bout de papier surévalué. En fait ceux qui font la chasse aux diplômes et qui les affichent dans leur cabinet, ou autre bureau, sont souvent ceux qui manquent cruellement de confiance en eux. Ils sont en formation continue et constante au lieu de plonger dans la pratique de la vie.
Je peine à comprendre la logique qui incite un employeur potentiel à filtrer les candidats sur la base de ces documents qui ne prouvent pas grand-chose.
En revanche je vous rejoins sur la nécessité d'une hiérarchie dans toute structure sociale. S'il est dommage de définir le rôle de chacun sur la base des acquis scolaires il est en revanche indéniable que toute entreprise nécessite une structure où chacun a un rôle bien défini à jouer.
L'exemple le plus simple c'est l'orchestre. Chaque instrument est indispensable à la cohésion de l'oeuvre. Le chef d'orchestre est bien évidemment indispensable.
Je pense que Charly validera ce constat. J'interprète son commentaire différemment. Pour moi, il suggère implicitement le manque de respect que vous évoquez. Un chef n'est chef que s'il est reconnu comme tel par ses pairs. Il obtient donc le respect et sera vraisemblablement reconduit à ce poste. Notamment parce qu'il aura compris que son rôle n'est qu'un rôle dans un projet plus vaste, un élément d'une chaine.
Et ce rôle n'est pas forcément immuable. On peut très bien envisager de changer momentanément de chef en fonction du projet.
Et c'est là que les mondes s'interpénètrent. Les valeurs éthiques que développent un individu se traduisent dans sa fonction sociale.
De plus en plus de sociétés en difficultés sont reprises par leurs employés. De récentes expériences dans le Jura français on fait prendre conscience aux collaborateurs du besoin incontournable de réintroduire une forme de hiérarchie dans leur coopérative. Et ça marche ! Le pouvoir n'est pas imposé du haut par un bureau directeur qui chasse des têtes exceptionnelles. Ce sont les travailleurs qui élisent leur hiérarchie démocratiquement. Ils paieront les salaires de leurs cadres sans rechigner, la paix sociale s'installe et chacun est reconnu pour sa valeur et celle qu'il apporte à l'ensemble.
Un diplôme a une fonction: signifier que dans un domaine précis, la personne a été formée et qu'elle a été reconnue comme apte à exercer par ses pairs. Il y a dans le diplôme une forme de transmission. Je pense qu'il a du sens. Moi qui suis largement autodidacte, je suis conscient des manques que j'ai dû combler et des chemins poursuivis dans ce but.
Je suis aussi conscient que mon besoin d'expérimenter par moi-même comblait une dimension de vécu qu'une formation ne donnait pas.
Je pense aujourd'hui que les deux doivent pris en compte. L'Office Fédéral de la formation a une politique de validation des acquis, et c'est une bonne chose. Mais l'employeur, qui ne peut évaluer le parcours de formation d'un candidat (ce n'est pas sa fonction) a besoin d'éléments validant pour l'engager.
La plus grande liberté aujourd'hui est de pouvoir être validé en dehors des parcours officiels. Mais ceux-ci ne sont pas caduques pour autant.