Dans la thèse analysée, l’auteur affirme que le sport oblige les femmes à reproduire les codes et rôles sociaux auxquels elle a été «soumise». Ces codes, comportements ou rôles ne seraient que des «constructions sociales», ce qui dans ce discours signifie aliénation patriarcale et soumission béate de femmes collectivement esclaves.
On en demande plus aux hommes
Pour étayer sa thèse Catherine Louveau mentionne le fait que les femmes sont moins portées à la confrontation et à la lutte que les hommes, et que c’est un comportement rendu obligé part la société.
«Modalités majoritaires de la pratique masculine du sport : technique, entraînement, attachement aux valeurs traditionnellement instituées du succès (performances, classements), collectif, solidaire. Pour les femmes, en revanche, le jeu, l’entretien physique, l’attachement aux finalités personnelles ou aux aspects relationnels sont prépondérants, dans une pratique individuelle, voire solitaire.»
Et plus loin:
«Montrer ou exercer sa force, se livrer à un combat, porter ou recevoir des coups, prendre des risques corporels sont autant d’attributs que les femmes semblent ne pas pouvoir faire leurs et qui appartiendraient donc, en propre, à la masculinité.»
Il faut je crois considérer l’organisation individuelle et sociale des comportements selon ce que j’écrivais précédemment: l’homme est en moyenne physiquement plus fort et n’enfante pas, il est donc mieux adapté aux gros efforts et à la guerre. La société moderne, la technologie, ont en partie gommé la dureté de la vie, mais pas entièrement, et le sport a renoué avec le sens de l’effort. Comme je le disais également les épreuves masculines sont, dans de nombreux domaines, plus dures ou plus longues que les épreuves féminines. On en demande plus aux hommes, physiquement. C’est assez normal.
L’image de la femme
Assez normal aussi dès lors, que les femmes aient investi prioritairement des sports moins durs et moins agressifs que les hommes. Une culture du sport ne se crée pas d’un coup. Il y a eu aussi quelques changements d’habitudes à réaliser pour admettre par exemple que les femmes pouvaient pratiquer la boxe. Toutes les cultures demandent de porter une attention particulières aux femmes, parce qu’elles sont en moyenne moins fortes, leur ossature moins épaisse, entre autres.
Elles ne sont pas toutes moulées sur le modèle fragile et vaporeux des héroïnes de Tchékov, mais c’est ainsi: la prévenance plus grande va de l’homme vers la femme et non l’inverse. Les hommes, éduqués depuis des siècles à porter cette attention prévenante, n’ont pas forcément imaginé leurs compagnes jouant au rugby ou combattant sur un ring. Aujourd’hui cela ne pose plus de problème mais on doit accepter que cela ait pu prendre du temps d’adaptation, sans y coller l’étiquette d’une discrimination.
On doit aussi admettre que l’image générale des femmes en occident (et ailleurs) est associée à la beauté, aux travaux peu salissants, au développement du ressenti plus que de l’action. Il s’agit ici de prédominance car l’un n’empêche pas l’autre. Aujourd’hui d’ailleurs, nombre de femmes animent des talk-show où les invités sont poussés à déshabiller leur vie et à étaler leurs états d’âme. Certains hommes, j’en ai été, acceptent cette voie du ressenti et la pratiquent. Mais j’en reviens, et je reviens aujourd’hui à quelque chose de plus utile pour l’homme: une forme de pudeur.
L’homme protecteur ne doit pas baisser sa garde, ou exceptionnellement. Il doit serrer les dents et ne pleurer que pour des raisons très particulières, pas comme certaines femmes pour lesquelles les larmes sont une stratégie récurrente. Je préconise que l’on cesse d’inciter les garçons à pleurer parce que c’est la mode ou à exprimer leurs émotions à tout le monde. Il faut au contraire respecter leur besoin d’avoir peu de personnes à qui se confier vraiment. Les hommes qui pleurent trop vite sont des amants sensibles et fantasques, pas des maris fiables et solides. Les larmes de l’hommes sont un cadeau rare à considérer comme tel, et parfois elles reposent au coeur de leur silence.
La malédiction de la grâce
J’ai passé de la femme à l’homme car l’auteur de la thèse féministe dont je fais l’analyse critique affirme que les femmes sont attendues dans le sourire, pas dans l’effort, qui reste réservé aux hommes. Leur corps ne devrait pas trop s’épaissir pour rester toujours glamour et attractif. Les publicités avec des sportives montrent rarement une image d’effort intense, contrairement aux hommes. Vision simpliste de la part de l’auteur. On lit, dans son regard, la supposée discrimination contre les femmes: elles sont dans le facile et le futile, les hommes dans le difficile et le sérieux.
C’est pourquoi elle affirme:
«A travers une sportive qui n’est femme que gracieuse, souriante ou parée, les prescriptions ne s’adressent-elles pas à une seule et même femme - celle qu’on ne peut s’empêcher, fantasmatiquement au moins, de vouloir physiquement posséder, celle qui doit réserver certains de ses visages (comme celui de la souffrance) à l’intimité et à un seul homme ?»
Ce regard est très partial car on aime aussi voir les sourires des athlètes hommes quand ils décrochent la victoire. L’image de la conquête qui suit l’effort est aussi importante que celle de l’effort qui amène à la conquête. Mais ne chercherait-on que des images souriantes et gracieuses des femmes dans les compétitions sportives? L’auteur le prétend, donnant comme seul contre-exemple l’arrivée du marathon féminin de 1984, où la suissesse Gabrielle Andersen-Schiess avait terminé en titubant, au bord de l’effondrement. Ces images allaient bien au-delà de la question féminine: elles montraient l’inouï dépassement de soi d’une athlète au courage exceptionnel (vidéo en bas). Le public ne s’y était pas trompé, qui avait réservé une ovation exceptionnelle pour cette femme exceptionnelle. Une héroïne. On se moquait bien alors qu’elle sourie!
Dans la thèse de l’auteur on lit que les femmes au physique puissant reçoivent le reproche d’être trop masculines, validant ainsi le stéréotype du féminin gracieux et du masculin costaud. Certes les athlètes femmes en haltérophilie ou au lancer du poids ne ressemblent pas aux gymnastes. Et il est vrai que les femmes ont de tous temps incarné la beaucoup, dont la douceur, la souplesse, la fluidité sont parmi les attributs. Et cela va souvent avec un corps plus mince et un visage souriant. C’est, disons, une tendance prédominante mais pas un absolu. Les corps des femmes et leurs comportements sont variés même s’il y a une prédominance (liée de plus à l’âge).
Quelques questions alors: ce stéréotype est-il une aliénation? Un esclavage? Une simple construction sociale, sans raison physique ou biologique? Ou bien quelque chose d’agréable, de louable?
Les femmes de la campagne sont souvent fortes, et il le faut. L’image gracieuse n’est de loin pas l’image dominante. Aux yeux du féminisme, celle-ci serait le signe de l’aliénation de la femme ou de ce qui lui est imposé socialement. Pauvre Julia Lipnitskaïa: sa grâce lui vaudra la jalousie et le mépris de celles qui verront en elle une soumise aliénée.
La grâce serait-elle une malédiction? La beauté, une malformation? Le sourire, un mensonge? La séduction, une mise en esclavage? La femme ne devrait-elle, pour être admise par les matrones féministes, ressembler qu’à des camionneurs? Ou bien peut-on aimer sans honte la beauté, le visage lumineux, l'éclat des yeux d'une sportive après sa victoire? Et peut-on aussi aimer la mine renfrognée de Lara Gut ratant l'or à Sotchi, sans trouver cela non-féminin? Peut-on accepter sans être taxé de misogyne le fait que les femmes choisissent certains sports plutôt que d'autres, et n'y voir aucune aliénation mais l'expression d'un choix, mélange d'histoire et d'affinités personnelles? Les femmes sont-elles encore libres d'elles-mêmes ou doivent-elles se soumettre au volontarisme féministe pour être comme il faut?
Image 1: Ghada Hassine; 2: Allison Stokke; 3: calendrier des rugbywomen de Rodez ; 4: Valérie Vili; 5: Julia Lipnitskaïa.