Si la Suisse n’est pas directement concernée, ces élections européennes devraient néanmoins l’intéresser. La votation du 9 février a fragilisé le partenariat de la Suisse avec l’Union Européenne et l’évolution de celle-ci ne saurait nous laisser indifférents.
Proximité oblige, la presse suisse romande a fait état de la campagne en France. Une campagne assez peu lisible. Trois personnes l'ont rendue un peu moins molle.
Marine Le Pen d’une part. Pas tant pour la nouveauté de ses analyses, ou pour la conviction assez forcée qu’elle donne à ses discours, pour le ton para-révolutionnaire ou le charisme qu’elle tente d’insuffler à son personnage. Ceux qui ont le plus fait pour madame Le Pen sont ses détracteurs, qui l’ont citée souvent, de manière critique, de telle sorte qu’elle a été souvent relayée dans la presse.
On connaît en gros ses thèmes. Mais son discours est plus dans l’imprécation, mélangeant souveraineté et imagerie gauchiste, que dans une proposition construite. Elle ne quitte pas vraiment la posture de l’opposante, ce qui la limite. L’on se demande d’ailleurs si ce n’est pas la limite naturelle de ce parti.
A-t-elle détaillé comment elle comptait faire sortir la France de l’UE et revenir au franc? A-t-elle donné des dates, délais, chiffres du coût de l’opération, analyse des conséquences économiques, bref a-t-elle présenté un vrai programme lucide? Je ne l’ai pas vu, mais peut-être cela m'a-t-il échappé. Elle va peut-être faire un bon score, et il est possible qu’un jour, mécaniquement, elle arrive au pouvoir grâce au mécontentement de la population. Mais elle n’aura ni le génie ni l’envergure d’un De Gaulle. Il suffit de l’entendre pour comprendre, dans sa voix, qu’elle a déjà atteint ses limites et que seule la surenchère hargneuse pourrait encore la pousser plus en avant. C'est qu'elle ne fume pas le calumet. A côté d'elle le Peace and Love digne d'une fermeture de Coffee Shop de Fanfrelande fait vieillot. Oui, mais MLP n’est pas une grande politicienne et son staff ne déborde pas de penseurs capables d’étoffer le discours minimaliste de l’égérie blonde surfant sur sa vague bleue marine. MLP au pouvoir, ce sera un coup dans l’eau. Le Front National deviendrait un parti de gouvernement, qui s’allierait ensuite avec la droite non-souverainiste pour garder le pouvoir.
Si elle venait au affaires et dénonçait alors les accords entre la France et l’Union Européenne, ce serait certes un tremblement de terre. Encore faudrait-il que cette mesure soit efficace et intéressante du point de vue économique.
Une deuxième personne a su émerger ces tous derniers jours: l’autre souverainiste, Nicolas Dupont-Aignant, président de Debout la République, l’intellectuel à 2% d’intentions de vote. Si, lui, développe une vraie pensée personnelle sur la France et l’Europe, ce qui manque cruellement à MLP, il ne décolle pourtant jamais dans les élections. Ses listes plafonnent vers la cave. Son coup d’éclat récent - faire passer une kalachnikov dans le coffre d’une voiture entre l’Italie et la France - lui fera-t-il gagner des points? Son but était de démontrer qu’en démantelant les frontières l’Europe était devenue un vaste marché pour les mafias et le banditisme. La démonstration est faite. L’on sait que certains pays de l’est font circuler des armes et les vendent vers l’Europe de l’ouest. Tant que ces pays ne se seront pas dotés de moyens de police efficaces le trafic continuera. C’est une des raisons pour lesquelles il veut renforcer les contrôles aux frontières. Mais il est bien seul dans sa campagne.
Nicolas Sarkozy, enfin, a publié une tribune et fait des propositions. Il reste pro-européen mais préconise des changements assez importants dans l’organisation de l’Union. En résumé il suggère de créer un axe franco-allemand fort et stable. Le moyen: gommer les différents fiscaux entre les deux pays afin de relancer la compétitivité française. Le but: prendre à deux le leadership de l’Union. Un retour des Deux Nations en quelque sorte, duo polono-lituanien qui a dominé une partie de l’Europe de 1569 à 1795. Mais encore faut-il que l’Allemagne accepte le partenariat français, et surtout accepte de partager le leadership. On sait que récemment François Hollande a été éconduit par la chancelière comme un gamin en culottes courtes, Angie l’ayant sermonné de réformer la France structurellement et profondément. François le Mou ne montre cependant pas le caractère d’un chef.
Changer l’Union Européenne?
Nicolas Sarkozy a aussi proposé un resserrement de l’Europe à 18 Etats majeurs. Des petits pays comme le Luxembourg ou Malte ne devraient pas peser du même poids sur les décisions communautaires. Ce qui parait évident. Il propose aussi de liquider Shengen I, de limiter les flux migratoires et d’annuler des directives les plus controversées de la Commission de Bruxelles. Il veut rendre aux Etats certaines de leurs anciennes prérogatives. Son slogan: «Européen ET français».
Cela peut faire mouche. Encore faut il voir si, réélu, il disposerait des moyens, y compris psychologiques, pour appliquer ce programme. Il a déjà fait avorter d’importantes réformes en France quand il était président, dont la réforme territoriale. Pourquoi faudrait-il le croire maintenant? Et comment faire passer la pilule d’un moindre poids politique aux petits pays qui actuellement jouent dans la cour des grands et qui pourraient faire capoter ce projet par leur désaccord? Un tel changement passerait par une dénonciation des accords, donc une sortie au moins temporaire de l’Union, pour ensuite reformer une nouvelle Union. L’idée est séduisante mais un tel chantier ne peut se suffire d’un seul protagoniste. Or il n’est pas certain qu’il obtienne beaucoup d’appuis de la part de pays à qui il dit ouvertement: La France et l’Allemagne vont être vos leaders.
Ces élections européennes verront peut-être une montée des partis souverainistes. Montée probablement limitée. Les blocs évolueront un peu. Les socialistes français perdront possiblement une partie de leurs députés. La campagne socialiste a été très discrète. François Hollande est tellement plombé dans les sondages qu’il a compris: il fait mieux de se taire. La vacance du pouvoir présidentiel n’a jamais atteint un tel niveau dans la Ve République.
Quand à l’UMP, qui a choisi à l’époque Copé contre Fillon comme président, elle est inaudible et paie le manque de personnalités charismatiques en son sein. Par défaut elle reste un parti majeur mais ne suscite aucun enthousiasme.
D’ailleurs personne ne suscite plus l’enthousiasme en France. Le rêve romantique d’une Europe Unie tirée par l'ex-pays des Libertés est terni. L’Ukraine, mais aussi la crise économique, le fossé entre riches et pauvres, le chômage endémique, l’alignement trop atlantiste, les diktats de la Commission de Bruxelles, l’incertitude politique de son avenir, le refoulement du débat et de la parole, plombent ce rêve. Peut-être faut-il changer de rêve. Garder une Europe unie dans les échanges culturels (et incluant dès lors la Russie), un marché économique, mais relativiser la libre circulation des travailleurs. La paix de 1945 et le refus européen de repartir en guerre ont permis la construction européenne à ses débuts. Mais aujourd’hui, qu’est-ce qui peut motiver à la continuer?