Est aujourd’hui possible de désigner notre époque par un nom global? Dans les années 1960 Herbert Marcuse parlait de répression du désir et de son remplacement par la consommation de masse. Dans la même période Jean Baudrillard écrivait «La société de consommation».
L’idéologie de l’authentique
Jean Baudrillard «... estime que la consommation qui était d'abord un moyen de satisfaire ses besoins primaires est surtout devenu un moyen de répondre à une injonction visant à se différencier des autres, tenant lieu de « morale », créant des relations sociales artificielles et de nouveaux symboles (de richesse ou puissance assimilées à l'accumulation de bien) au profit de consortiums de taille croissante, et au détriment de l'environnement, en hypothéquant le futur de l'humanité.»
Cette vision est attachée à une morale dont l’origine n’est pas claire. L’idéologie de «l’artificiel» et de «l’authentique» (donc, par glissement, du vrai et du faux) est un thème poétique plus que philosophique. Il établit une hiérarchie de valeurs. Mais qui peut déterminer si une relation superficielle est moins porteuse de valeur qu’une autre? Le supermarché est-il devenu l’antre du diable? Cette sorte de temple moderne est un des lieux de la consommation. Il n’est pas un salon philosophique. Va-t-on au supermarché pour parler de ses problèmes à une vendeuse qui réapprovisionne les rayons? Ou pour faire sa propre psychanalyse avec un caissier? Certainement pas.
Baudrillard voyait les objets de consommation comme des signes de la réalité sociale. «Un beau stylo, par exemple, peut servir à écrire (valeur d’usage), valoir l’équivalent d’une semaine de salaire (valeur d’échange), être offert en cadeau (valeur symbolique) ou conférer un statut social (valeur structurale par rapport au système des objets).»
Consommer du rêve
Certes la publicité tend à nous présenter, comme des joyaux ou comme une fête, des produits qui satisfont parfois plus à l’hédonisme ambiant, au goût du plaisir immédiat ou au narcissisme de classe qu’au besoin vital. On n’achète de moins en moins une voiture pour se déplacer mais pour la part de rêve qu’elle représente ou pour le statut social qu’elle signale. Les publicitaires ont bien compris. Dire d’une voiture qu’elle a un moteur et des freins est inintéressant. Ce qui plaît est de la voir rouler par tous les temps, donc de nous procurer une totale liberté et sécurité. Ou bien que l’on puisse la parquer sur une plage de sable fin, au soleil. Le produit est connu et n’intéresse pas autant que le rêve qu’il représente. On est dans le spectacle plus que dans la liberté, diraient aujourd’hui Baudrillard ou Marcuse, invoquant la possession des individus par le signe social de valeur (par exemple un stylo en or augmenterait notre qualité personnelle parce qu’il est cher).
Ce genre de point de vue est typique des XIXe et XXe siècles. Le XXIe fera-t-il la part aussi belle à des modes d’analyse de la société basés sur la notion d’aliénation et de chosification des individus? Ou reviendra-t-on au principe de liberté fondamentale, même quand ces individus adoptent une coutume issue d’influences familiales ou sociétales passées? On le saura dans cent ans. Ou plus, tant la description des sociétés est chose difficile qui demande du recul.
Je tente cependant quelques pistes. Je crois d’abord que la société ne peut être nommée par un mot ou concept unique. Le concept unique sert à placer les moutons qui le répéteront en ordre régulier devant le précipice et à simplifier le saut dans le vide. Or la complexité des sociétés modernes impose aujourd’hui une réflexion non univoque et non linéaire, et une interprétation à facettes.
La société du divertissement
Elle est la suite logique de la société du spectacle. Travailler a été pendant des millénaires une tâche lourde, une peine: «Tu travailleras à la sueur de ton front». Il devient un accessoire, l’important étant le plaisir que cette société nous apporte. On est aujourd’hui enclins à accepter des activités rémunératrices peu enthousiasmantes pourvu que nous disposions de temps libre (soirées, week-ends, vacances), temps que nous remplissons en consommant encore des livres, des films, des jeux, de la nourriture ou des voyages.
Le rapport à la consommation comprend trop d’aspects pour être traité par une seule moulinette idéologique. La consommation est normative puisqu’elle renvoie à des codes sociaux (le stylo en or représente la richesse et le statut social plus que le stylo en plastic). Mais l’analyse de la consommation faite par Baudrillard est elle-même tout autant normative puisqu’elle définit, en creux, quelle serait la bonne attitude de consommateur: remplir des besoins de base, sans céder au superflu ni aux faux besoins.
Comme les idéologues marxistes, Baudrillard pense savoir ce qui est bon pour les autres et définit qui est socialement valorisé. N’y aurait-il donc d’alternative à une supposée aliénation que par une autre aliénation? Doit être considéré comme divertissement tout spectacle, toute mise en scène, qu’il s’agisse d’une manifestation de rue ou d’une campagne de publicité. Se divertir permet d’éviter de rencontrer le réel, vu comme une peine, ou d’en combler le vide - vide qui serait le reflet d’un vide existentiel. L’industrie du divertissement est généralisée et fonctionne en reprenant l’idée que la vie est une fête. Les images télé, celles des magazines, celles des vitrines de magasin, sont des odes à une fête permanente. Est-ce de l’aliénation? Alors tout divertissement serait aliénant. Je ne le pense pas.
La société technologique
Je préfère ce terme à celui de société industrielle. L’industrie est une application de la technologie. Celle-ci permet la construction d’unités de production qui produiront encore plus de technologie. La technologie soulage la peine du travail, participe à la prolifération des échanges, modifie rapidement et profondément notre environnement. La technologie est partout, elle est une caractéristique de l’époque. Elle a changé le rapport au travail, les relations humaines, les distances, la mobilité, la communication, entre autres. Elle prend une telle place qu’on peut la considérer même comme une caractéristique majeure.
La société de l’image
Avec la technologie certaines activités ou moyens de rendre compte du monde se sont développés à grande échelle. L’image prend aujourd’hui une place majeure dans l’enseignement, dans la communication, par les appareils numériques très répandus, par le foisonnement de magazines illustrés, et dans l’art, avec des moyens de modifier le réel: photoshop, effet spéciaux, mise en scène commerciale ou culturelle du réel rêvé, reproduction ou invention de codes sociaux. L’image participe au rêve, à ce «plus» qui fait de l’objet autre chose qu’un agrégat de matière. Le rêve donne une sorte d’âme à l’objet.
La société Big Brother
Aujourd’hui on est surveillés partout: dans la rue, sur internet, par notre téléphone portable ou celui d’autrui. A terme une inhibition pourrait se produire devant cette pression et cette forme de contrôle. Une inhibition qui pourrait ensuite se transformer en violence, à cause de ce qui est frustré en nous.
Le risque est d’autant plus réel que, on le voit déjà, la réponse individuelle à un monde globalisé et formaté est de développer ce que Baudrillard nomme sa singularité: être singulier par le look, par le discours, par la destruction pure et simple de ce monde. La violence essentielle, non révolutionnaire, peut devenir le moyen de se reconnaître et d’exprimer sa singularité. Ce peut même être une réponse nécessaire dans une société dont les règles et les dogmes sont devenus étouffants.
D'autres idées?
Commentaires
La société de l'abondance
Projetée par l'économiste Jeremy Rifkin, elle sera permise par l'arrivée du web 3.0 et la cryptographie quantique. L'internet des objets redonne le pouvoir à l'individu en supprimant les intermédiaires. Chaque consommateur devient producteur (prosumers). Un exemple, chaque foyer a la possibilité de produire de l'énergie renouvelable qu'il peut envoyer dans le réseau lorsqu'elle est produite en surplus puisque nous n'avons pas encore trouvé le moyen de la stocker. L'individualisme sublimé et non fustigé ou réprimé. Lorsque chacun trouve sa place et peut se singulariser, il retourne vers l'autre dont il a besoin, ne serait-ce que pour la reconnaissance. La communauté des hommes prend un nouveau sens. On ne se rassemble plus parce qu'on se ressemble, comme dans les clubs, mais au contraire parce qu'on trouve chez l'autre ce dont nous ne sommes pas pourvu.
Ces travaux sont résumés dans son dernier opus, "the near zero marginal cost society" qui fait suite à sa "troisième révolution industrielle" et, il y a dix ans déjà, "la fin du travail".
Et si, les vacances approchant,, on prenait le temps de rêver à partir de ces "faits signifiants" étranges coïncidences nommés synchronicités qui nous invitent à nous interroger sur une envisageable possibilité de mondes parallèles?
Les Hyperboréens ("au-delà du Vent du Nord")! enseignaient que nous ne mourrons pas mais nous déplaçons juste un peu.
D'une société "imagologigeante" à une autre en nous-même en notre for intérieur y compris non plus "reproductive" mais imaginative, créative.
"Appel de la vie à la vie" (Khalil Gibran) plaisir, créativité.
Arts, artistes "inventeurs", artisans... apprentis: maîtrise (non plus contrôles maniaques à répétition des faits et gestes de chacun y compris Comptes en Banque avec Statuts, Prestige des Situations et Sociétés Hiérarchiques AAArtificielles "Socio-Economiques"...
Excellent!
La société de consommation est la société de l'inutile. Toutes choses qui sont proposées comme indispensables à travers des manipulation de masse, rapidement obsolètes, en faisant appel au mimétisme, à la jalousie, aux instincts les plus bas de l'être humain. Elle place la plupart des gens dans un réseau de dépendances. La servitude vient d'un comportement grégaire autour des objets sensés apporter le bonheur.
ça me fait toujours bien marrer ces ventres pleins et qui utilisent internet ( via ordinateurs, PC, smartphones etc... ) confortablement instalés chez eux et qui ne manquent de rien pour venir dénoncer la société de consommation comme quelque chose d'inutile.
D.J
DJ, ce n'est que lorsque l'on a tout que l'on peut commencer à réaliser notre profonde misère. Avant on tentera juste d'être moins pauvre ou un peu plus riche, selon.
@ Pierre,
Oui comme ceux qui disent que l'argent de fait pas le bonheur mais qui jouent toutes les semaines à l'Euromillon.
D.J
Certains se divertissent en jouant les explorateurs. Frédérik Paulsen a décidé de visiter les huit pôles de la planète. Les pôles géographiques, magnétiques, géomagnétiques et le point le plus isolé dans chaque hémisphère. Voici comment le journaliste de l'Hebdo définit la différence entre pôle magnétique et géomagnétique :
" le pôle magnétique, le point qu’indique la boussole là où sa composante horizontale est nulle; le pôle géomagnétique, sur l’axe magnétique de la planète;"
Y a une différence ? Première nouvelle. La physique du globe a bien changé depuis mes études...
Quoi ?
Nabilla Ben Attia est libérée et toi, John, ne lui consacre aucun article ?
#nabilla #debilla mérite mieux que cela !
Elle qui divertit toute un frange de la jeunesse actuelle ... en manque de repères.
Pas bien ça, John !
hello Homme Libre,
pas de nouveau article, vous allez bien???
bizzzouxxx!!!
Coucou Sarah,
Ouaip, un peu moins disponible, je ne garantis pas la publication quotidienne pour les temps prochains mais je ferai de mon mieux.
Je viens d'en mettre un nouveau en ligne.
Oui, je vais bien. Je vous remercie!!!
:-⧽
Bizzzouxxx!!!
@ Victor-Liviu:
Nabilla? Une femme libérée...
:-D