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Avortement et brevets sur les ovules : une décision troublante

La Cour européenne de Justice vient de rendre un arrêt troublant. Un arrêt qui peut sembler logique en regard de la protection du vivant mais qui, incidemment, ravive une problématique inattendue. L’embryon aurait-il deux statuts: protégé quand il s’agit de l’utiliser pour produire des cellules souches, non protégé quand il s’agit d’avortement?

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Une société américaine, la International Stem Cell Corporation (Isco), est spécialisée dans la recherche sur les cellules souches. Pour mémoire ces cellules, présentes en particulier dans les tissus embryonnaires, sont indéterminées et peuvent prendre la forme de tout tissus humain. L’utilisation de ces cellules permet de régénérer des tissus lésés. C’est l’objectif de la thérapie cellulaire.

Les cellules souches peuvent être prélevées dans l’embryon, mais pas seulement. La société en question travaille sur la production de cellules souches par des ovules activées par parthénogenèse (sans fécondation par des spermatozoïdes). La Grande-Bretagne avait refusé d’enregistrer un brevet concernant ces ovules activés par parthénogenèse. La société américaine a fait recours. La Cour européenne de Justice (CEJ) a rendu un arrêt qui précise le cadre où il est permis d’avoir recours à ces ovules activées.

«Le seul fait qu'un ovule humain activé par voie de parthénogenèse commence un processus de développement n'est pas suffisant pour le considérer comme un embryon humain», explique la Cour dans un communiqué. Elle rappelle que la directive européenne sur la protection juridique des inventions biotechnologiques prévoit que les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ne sont pas brevetables.»

Le principe est de protéger l’embryon afin d’éviter toute utilisation industrielle du vivant ainsi que tout clonage humain. Les êtres humains ne doivent pas devenir une simple marchandise. Mais au cas où un ovule est activé par des voies non naturelles (sans spermatozoïdes), donc s’il ne peut produire un humain, il est permis d’utiliser ces «embryons non humains» (parce que non fécondés et incapables de générer un humain) et de déposer des brevets relatifs à la production et l’utilisation des cellules souches.

cellules souches,ovule,embryon,CEJ,cour européenne,parthénogenèse,fécondation,foetus,Donc on ne clone pas, on ne crée pas des «fermes humaines» où des embryons seraient élevés en série pour produire les médicaments du futur. Produire un embryon fécondé, donc pouvant devenir un humain, et le détruire en vue de prélever ses cellules souches et de breveter une technologie, est illégal. La société n’accepte pas que ses enfants deviennent de la viande à usages multiples.

C’est plutôt une bonne nouvelle.


Le droit

Mais elle pose d’autres interrogations. Si l’embryon est protégé dans la recherche médicale, c’est que, d’une certaine manière, la loi lui reconnaît une forme de statut juridique. C’est parce qu’il a cette forme de statut, cette reconnaissance de son humanité en construction, qu’il est déjà une début d’humain, que l’embryon ne peut être utilisé et exploité commercialement. Un considérant de l’arrêt précise:

«... l’exploitation de la matière biologique d’origine humaine doit s’inscrire dans le respect des droits fondamentaux et, en particulier, de la dignité humaine.»

Mais, et c’est la collision, le paradoxe: cet embryon disposant d’une existence juridique dans la recherche, n’en dispose pas quand il s’agit d’avortement. Il est permis d’avorter, donc de détruire l’embryon ou le foetus pendant trois mois. Quelle est la différence d’état de l’embryon qui, dans un cas, le protège, et dans l’autre pas? La loi est-elle cohérente? La décision de la CEJ ne remet-elle pas en cause l’avortement, même si aujourd’hui personne, aucun journaliste, n’aborde le sujet?

D’un point de vue strictement juridique, non. L’arrêt de la Cour européenne ne concerne que le droit à poser des brevets sur le vivant, ou en quelque sorte à s’approprier du vivant et le mettre sous copyright. On ne peut disposer du vivant à des fins commerciales. Or l’avortement n’est pas une pratique commerciale visant à breveter le vivant.

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Mais d'un autre point de vue ce n’est pas si simple. Si la CEJ refuse le droit de breveter une technologie s’appropriant le vivant, c’est justement parce qu’il est considéré comme vivant et destiné à produire un être humain. La Cour européenne de Justice définit maintenant l’embryon de la manière suivante:


1. L’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, doit être interprété en ce sens que:

– constituent un «embryon humain» tout ovule humain dès le stade de la fécondation, tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté et tout ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer;

–  il appartient au juge national de déterminer, à la lumière des développements de la science, si une cellule souche obtenue à partir d’un embryon humain au stade de blastocyste constitue un «embryon humain» au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44.

2. L’exclusion de la brevetabilité portant sur l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales énoncée à l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44 porte également sur l’utilisation à des fins de recherche scientifique, seule l’utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci pouvant faire l’objet d’un brevet.

3. L’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44 exclut la brevetabilité d’une invention lorsque l’enseignement technique qui fait l’objet de la demande de brevet requiert la destruction préalable d’embryons humains ou leur utilisation comme matériau de départ, quel que soit le stade auquel celles-ci interviennent et même si la description de l’enseignement technique revendiqué ne mentionne pas l’utilisation d’embryons humains.»


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J’ai quelques difficultés à assimiler la contradiction entre le statut protégé des embryons dans le cadre de la mise au point de nouvelles thérapies, ici confirmé et précisé par la CEJ, et l’absence de statut du même embryon en situation d’avortement. Dans un cas, la loi interdit de toucher ou de détruire un embryon fécondé en vue de recherche médicale et/ou d’utilisation commerciale, dans l’autre cas la loi permet de détruire un embryon ou foetus pour des raisons médicales ou psychologiques.

L’action et l’intention sont différentes dans chaque cas mais elles s’appliquent au même tissu, au même être en formation et reconnu comme tel par cet arrêt. L’embryon est élevé à la dignité d’humain dans un cas et pas dans l’autre.

Où est la cohérence?

 

Catégories : Politique, Santé, Science, société 10 commentaires

Commentaires

  • Merci pour ce premier article très intéressant !

  • Bien vu.

    La législation s'adapte à l'hypocrisie généralisée. Il suffira de crier bien fort "ce n'est pas pareil".

  • Oui,

    c'est bien possible.
    Vous pensez aussi que c'est une vraie question?

  • Ces textes de loi sont très compliqués, mais je crois comprendre que les principes mis en avant ne peuvent qu'être approuvés.
    Il s'agit de freiner une fuite en avant et des idées saugrenues que des laboratoires pourraient avoir.
    J'y lis des garde-fous, avec une ouverture à une discussion possible à ce passage :
    "il appartient au juge national de déterminer, à la lumière des développements de la science, si une cellule souche obtenue à partir d’un embryon humain au stade de blastocyste constitue un «embryon humain» au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44."
    On dirait donc que l'on n'a pas encore décidé de ce qu'est un "embryon humain". Pour la béotienne que je suis, cela semble bizarre, mais voilà, le débat à ce sujet n'est pas terminé !
    Pour vous, il serait logique d'autoriser toutes les recherches et brevets sur les cellules-souche obtenues à partir d'ovules fécondés, du moment que l'on autorise l'avortement.
    Ou formulé autrement : si on interdit la manipulation des embryons humains à des fin de recherche ou de commercialisation, on devrait également interdire l'avortement.
    Je pense qu'à terme, on va nous reposer la question à nouveau. L'avortement restera un événement si peu acceptable sous nos latitudes, qu'on n'aura jamais fini d'en débattre.

    La différence que je vois entre les deux situations (avortement /recherche)est la suivante :
    lorsqu'on fait de la recherche et/ ou des cellules-souche thérapeutiques, on féconde exprès des ovules et certainement en grand nombre. L'embryon devient une sorte d'objet.
    En revanche, lorsque l'on décide d'interrompre une grossesse non-désirée, on est dans un cas qui devrait rester unique pour une femme ou un couple donné.
    L'intention de base n'est pas la même.
    Autoriser l'avortement n'est pas un encouragement à récidiver à l'infini.
    De plus, il est parfaitement imaginable que la recherche sur l'embryon soit perçu comme un tabou plus énorme que l'acte de tuer.
    Tout le débat à venir autour du diagnostic pré-implantatoire ( votations en vue), va tourner autour de l'intervention et de la responsabilité humaine au moment de la procréation. Allons-nous nous arroger des pouvoirs de démiurge, parce que nous maîtrisons désormais des techniques ?

    L'histoire de Frankenstein n'est pas du tout dépassée, elle est le symbole même de la peur qu'inspire légitimement l'intervention humaine dans la création de la vie et je lis l'arrêt de la CEJ dans cette lumière.
    C'est difficile à formuler d'une façon acceptable, mais je vais essayer :
    Donner la mort nous est plus familier et donc plus acceptable que d'imaginer entrer dans l'inconnu, qui consisterait à créer artificiellement la vie, pour la modifier ensuite.

  • Bonjour Calendula,

    Je n'ai pas de position tranchée ou définitive. Je soulève la contradiction, qui me paraît ici énorme. On est dans un sommet de dédoublement. La différence d'intention ne change pas le résultat pour l'embryon: il est détruit dans les deux cas. Dans un cas il est devenu un objet porteur d'espoir, dans l'autre un objet dérangeant. La loi semble avoir été faite par des personnes vivant dans deux galaxies différentes.

    Maintenant un juge national pourrait se fonder sur cet arrêt pour déclarer l'avortement illégal, uniquement en prenant la définition de l'embryon humain et en déclarant que si l'on ne peut altérer un embryon à des fins de recherche, a fortiori on ne devrait pouvoir l'altérer à des fins personnelles. L'avortement légal ne tient que parce que l'on refuse de donner un statut humain à l'embryon. Or ici c'est fait!

    On avait déjà abordé ce débat de fond lors de la votation sur le déremboursement de l'avortement.

    Je comprends votre conclusion, et les craintes que cette tentation du démiurge suscite. Mais on est dans deux approches contradictoires sur un même sujet. La tendance à faire une loi pour chaque chose et à se complaire dans des principes à géométrie variable est à mon avis difficilement compatible avec la manière acharnée de vouloir instaurer une égalité presque absolue. Le principe d'égalité serait: soit on peut faire ce que l'on veut aux embryons et foetus, soit on ne peut rien leur faire, une seule loi régissant leur statut. La différence d'intention ne change rien pour l'embryon.

    Troisième solution, situationniste: on accepte que chaque situation doit être gérée pour elle-même, sans chercher un principe trop ferme ou des analogies avec d'autres situations. Cela permet de faire des lois simplement adaptées de cas en cas. Mais alors il faudrait un code pénal par individu. Il n'y aurait plus d'unité de principe. Si l'ajustement au cas par cas peut se faire dans des attendus juridiques ou dans une situation privée, les textes de lois doivent me semble-t-il s'inscrire dans une échelle de valeur permanente et presque universelle.

    Oui il y aura débat en Suisse et c'est bien. Mais un tel débat devrait prendre des décennies pour être mené à bien.

    Pour ma part je pense que l'on devrait régler cette contradiction avant qu'elle ne nous tombe sur la tête, mais j'ignore comment.

  • Je n'arrive pas à passer le cap qui consiste à trouver positif la production d'embryons par centaines, avec l'idée d'en faire une sorte de "médicament". C'est pour cela que l'arrêt de la CEJ ne me choque pas.
    Il arrive à un moment donnée, avec une certaine urgence ou du moins avec un décalage par rapport aux progrès de la médecine et de la biologie. On peut trouver des cellules souches ailleurs que dans un embryon, donc l'espoir du progrès médical n'est pas mort et enterré, suite à cet arrêt.

    Le sujet de l'avortement est bien douloureux et toute personne ayant eu à prendre une telle décision aurait de choses à dire sur l'ambiance ayant entouré l'événement. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait souvent du moindre mal et non d'un acte jubilatoire.

    Que la CEJ n'ait pas résolu le problème du "droit à l'avortement" en même temps est au fond assez facile à comprendre. Il me semble que c'est justement régi par des législations nationales, puisque la situation est variable selon les pays de l'UE et le résultat de décennies de discussions et de conclusions diverses.
    Je ne pense pas que cet arrêt sera le dernier mot en la matière...

    Un juriste bien renseigné pourrait certainement éclairer notre lanterne
    quant aux niveaux de validité des arrêtés de la CJE.
    Sont-ils réellement contraignants pour tous les pays membres ? Les pays de L'UE doivent-ils accepter les décisions des "juges étrangers", comme certains les appellent chez nous ?

  • En logique, il est dit que d'une théorie contradictoire on peut en déduire n'importe quoi. Si notre législation est contradictoire, cela signifie que l'on pourra faire condamner n'importe qui. C'est donc plutôt gênant.

    Par exemple, si une femme qui avorte fait don du foetus à la science, ce sera rangé dans quelle catégorie ??

    A mon avis, il faut prendre des notes pour ne pas devenir fou :

    - donc Avorter un foetus pour convenance personnelle, c'est bien. Faire de la recherche sur l'embryon pour sauver des vies, c'est mal.
    - Acheter un IPhone à 700 euros, c'est bien. Se cotiser pour sauver un chien alors que tant de gens n'ont pas accès aux soins médicaux, c'est ignoble.
    - Louer son utérus et abandonner son enfant à la naissance pour du pognon, c'est bien. Louer son v@gin pour payer ses études, c'est mal.
    - Un homme qui tue ses enfants, c'est un monstre. Une mère qui les mets au congélateur, c'est un "déni de grossesse".
    - Parler de sekse avec une ado sur Internet, qui certainement en sait plus que vous, c'est mal. Détailler toutes les pr@tiques sexue11es les plus tordues à des gosses de primaire, c'est bien.
    - Se promener à poil dans un lieu de culte en brandissant du foie de veau ou ériger un seks-t@y en pleine place publique, c'est bien.
    - Critiquez la puissance du lobby juif et les exactions d'Israël, vous aurez toutes les associations antiracistes, le fisc et la république sur le dos (ce qui paradoxalement confirme les propos). Critiquez les musulmans ou les noirs, vous ferez la tournée des plateaux télés et vendrez des milliers de bouquins.

    Chez nous, je viens de découvrir dernièrement que la "ligue des droits de l'Homme" s'emploie à faire interdire des crèches et intente des procès... N'a-t-elle pas d'autres missions plus importantes ? Pourquoi ne pas interdire dans nos écoles les sapins et ces pères Noël qui distribuent du chocolat à nos gosses, tant qu'on y est. C'est quoi cette secte ? Les adorateurs du Dieu de la consommation ?

    Il faudrait demander à M. Obama notre éminent prix Nobel de la Paix pourquoi il n'a toujours pas fermé Guantanamo maintenant que l'on sait avec certitude qu'il s'agit d'un centre expérimental de torture suite au rapport officiel... Ainsi, ils veulent faire la guerre aux terroristes, mais c'est eux les terroristes.

    Je ne sais pas si j'étais dans l'insouciance ou la naïveté auparavant, mais depuis quelques temps, cette société des bons sentiments de la morale hypocrite et du mensonge permanent me donne envie de vomir. Pompant toujours plus d'argent aux contribuables tout en étant incapable de régler les vrais problèmes de sécurité ou de chômage, les gouvernements voudraient en plus régenter notre façon de vivre et nous dire ce que l'on doit penser. Excusez mon pessimiste mais je pense que cela va mal finir.

  • Bravo Sub. Belle synthèse...:=)

  • Oy, je plussoie, synthèse claire, froide et concise.

    Qu'en pense le religieux?

    "Pouvons-nous nous figurer les dizaines de MILLIONS d’hommes et de femmes dont il est question ici, pour lesquels Dieu n’est pas réel, des gens qui commettent l’adultère, le mensonge, le vol, la tromperie, la débauche, qui éprouvent la haine et prennent le nom de Dieu en vain sans même s’en soucier ?

    Beaucoup d’entre eux fréquentent des églises chrétiennes et s’imaginent être de braves gens. La plupart ne changeront probablement jamais jusqu’à ce qu’ils soient véritablement humiliés par Dieu.

    Ils ne voudront pas accepter la correction venant de la parole divine. Comme l’a écrit l’apôtre Paul : "Ils ont les pieds légers pour répandre le sang ; la destruction et le malheur sont sur leur route ; ils ne connaissent pas le chemin de la paix ; la crainte de Dieu n’est pas devant leurs yeux".

    Dès lors, tout leur semble possible et permis.

  • "cette société des bons sentiments de la morale hypocrite et du mensonge permanent me donne envie de vomir."
    Bravo. Une bonne partie de cette société et surtout de ses politiciens qui croient devoir s'ingérer dans la vie des autres au lieu de s'occuper de leur propre vie. Chacun n'en a qu'une.

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