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Et si la Turquie versait dans le Califat ?

On ne peut pas prendre à la légère l’intention d’établir un nouveau califat, structure étatique politico-religieuse, et d’y gagner de larges populations. Le fondamentalisme islamiste montre son dynamisme depuis plusieurs décennies et sa croissance n’est pas le fruit du hasard.

 

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Il y a un travail de fond effectué par des partisans d’un islam littéral, très politisé et anti-occidental. On voit rien qu’à Genève comment Hani Ramadan utilise la religion et son centre idéologique pour alimenter ses prêches politiques haineux. Il y a la « cause » palestinienne qui a fédéré nombre d’individus et de politiciens arabes. Il y a l’établissement du régime des mollahs en Iran, et bien d’autres choses.

 

Daech n’est donc pas le fruit du hasard. Il a été fabriqué par des puissances prédatrices étrangères à la Syrie mais cette fabrication avait déjà un socle idéologique et des troupes prêtes à en découdre.

 

La dynamique du succès engendre le succès. L’image que j’ai postée hier et que je remets aujourd’hui (image 2) est tirée du site « Les cahiers de l’Afrique ». Elle illustre bien le projet territorial du califat. Il s’étendrait sur ce que ses partisans nomment les « terres de l’islam ». Soit le Proche-Orient, une partie de l’Asie y compris l'Inde, la moitié de l’Afrique et le sud-est de l’Europe, ainsi que l’Espagne considérée encore comme une terre musulmane depuis l’occupation au Moyen Âge. C’est à peu près la carte du premier califat en 750 (image 3).

 

Des « terres chrétiennes » y figurent donc. Elles ne pourraient être conquises que par la force armée. Les divergences entre musulmans conduiraient aussi à des conflits pour obtenir une suprématie. Mais ces divergences pourraient fondre devant l’unité promise du monde arabo-musulman et sa puissance retrouvée.

 

 

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La victoire du califat peut se produire de plusieurs manières. La première, actuelle, est la guerre de conquête. Daech a besoin d’un territoire où établir la structure de base du califat. De là il pourra essaimer et conquérir des pays voisins. La deuxième manière est le travail idéologique dans les autres pays musulmans. A terme cela pourrait produire des changements politiques ou des guerres civiles en faveur du califat. Les groupes qui ont fait allégeance à Daech sont disséminés de l’Afghanistan au Nigeria. Le pouvoir de formatage idéologique et de pression politico-militaire est bien réel.

 

Il y a également le message prophétique. Selon Romain Caillet:

 

« La période de domination des Califats omeyyade de Damas puis abbasside de Bagdad constitue aux yeux des islamistes, et pas seulement des jihadistes, un véritable âge d’or de l’Islam, qui contraste avec la faiblesse actuelle du monde musulman. Cette décadence correspond selon eux à une période qui doit précéder le retour d’un "Califat suivant la voie prophétique" comme l’annonce un hadith [parole rapportée, ndlr] attribué au Prophète : "La prophétie restera parmi vous, puis Dieu y mettra un terme. Il y aura alors un Califat suivant la voie prophétique, puis viendra une royauté injuste, puis une royauté tyrannique, puis enfin reviendra alors un Califat suivant la voie prophétique. »

 

Enfin, devant la dynamique du succès et le désir de renforcer l’islam, un pays, puis un autre, pourraient verser dans le califat. Les alliances seraient d’abord politiques, comme en 1936 en Europe quand Mussolini et Hitler ont formé l'axe Rome-Berlin, avant de ne former qu’une seule structure en plusieurs provinces.

 

 

daech,islam,intégrisme,califat,syrie,turquie,asie,europe,Néo-ottomanisme turc 

 

La Turquie est peut-être candidate à cela. Bien qu’elle ait reçu une forte impulsion laïque il y a un siècle sous Attaturk elle reste sensible à une forme de réislamisation à laquelle le président Erdogan s’est attelé. Le pays, fier de son passé impérial malgré la structure démocratique, pourrait être sensible au fait de jouer un rôle important dans le remodelage de la région. Et il n’est pas inimaginable que le désir de revanche sur le démantèlement d’après la première guerre mondiale ne puisse faire émerger un nouveau nationalisme religieux dans un ensemble fort. Cela d’autant que l’entrée de ce pays dans l’Union Européenne est compromise.

 

Il semble qu’un désir de néo-ottomanisme se développe dans la société turque, comme en fait mention le site hérodote.net. Par ailleurs le régime actuel semble avoir des sympathies pour Daech.

 

Si Daech tient face à la coalition, s’étend et se montre sûr et victorieux il contribuera à rétablir une fierté à laquelle aspirent de nombreux arabo-musulmans. Le califat serait une dictature mais la région y est habituée, ce n’est donc pas un problème. Le pan-islamisme, dans lequel un califat n’exclut pas les différences d’obédience (sunnites, chiites, etc), la fierté et la puissance retrouvées, le sentiment identitaire religieux fort, la dynamique du succès, peuvent-ils faire basculer la région?

  

Ce n’est que politique-fiction et les difficultés pour réaliser le califat sur l’ensemble des « terres de l’islam » sont nombreuses. Mais la détermination et la contagion identitaire peuvent nous surprendre. Pour ma part ce scénario prévaut sur une éventuelle islamisation de l’Europe par les fondamentalistes expansionnistes. Je ne dis pas que nous ne devons pas défendre nos valeurs, dont la grande liberté de conscience, de pensée, de choix, d’expression, mais la tâche me paraît beaucoup plus difficile et lointaine que la création d’un nouvel empire nommé califat. Si cela advenait par exemple dans les prochains cinquante ou cent ans, de nouvelles guerres toucheront directement l’Europe.

 

Ce sera la réponse aux croisades. Mille ans plus tard. L’Histoire est patiente.

 

 

Catégories : Histoire, Politique 4 commentaires

Commentaires

  • Belle lucidité, qui démontre l'inculture crasse des élites européennes au pouvoir.

    Le califat ne peut vaincre et progresser qu'avec l'accord et l'appui d'une foule de "partenaires". Il doit d'abord "faire du bon boulot." Pour ses sponsors, puis une fois qu'il aura servi, il sera temps de lui couper les vivres. Pour arriver à Palmyre c'est 200 km de désert. Et on a laissé le califat venir tranquillement s'y installer.

    Avez-vous vu le "reportage" l'autre soir sur bfmtv? Il montrait la "vie" à l'intérieur d'une brigade djihadiste au nord de la Syrie. Un soi-disant mariage, mais aucune femme à l'horizon. Un parfait film de propagande pour les djihadistes. Rien que le fait que l'équipe de reportage n'ait pas été prise en otage veut tout dire. On brouille le visage d'un djihadiste blessé et contrairement à toutes les règles déontologiques on ne brouille pas le visage angoissé d'un otage qu'on annonce exécutable sous peu de jours.

  • Cette supposition n'est pas irrationelle.

    Il est possible qu'une mémoire commune de grandeur puissent rallier dans bouillonnement en bas-fond, des nations qui ont pourtant des intérêts divergents. On sait aussi qu'au moyen orient les coalitions momentanées sont une habitude ataviques.

    On peut imaginer que la Turquie pense à tirer parti de ce genre de redistribution des cartes. Pour autant je vois mal Erdogan parvenir à imposer un califat en Turquie malgré les très possibles contagions identitaires.
    Et puis l'Empire Ottoman, n'était pas le Califat Abbasside. L'un était plus orienté vers le multi-confessionalisme, pluriethnique, multiculturel et qui a renvoyé l'autre d'une position de dominant à dominé.
    Les Abbassides sont ceux qui ont chassé les Omeyyades du pouvoir. Le premier voulant restituer la primauté du Coran, alors que les Omeyyades s'en éloignait un peu au profit du développement du savoir philosophique. Les Abassides on rapatrié le centre culturel du savoir vers Bagdad, alors qu'avant c'était Damas et Cordoue.
    Averroes est même considéré par certain comme l'un des pères fondateurs de la pensée laïque en Europe de l'Ouest.

    C'est la grandeur des Omeyyades qui est considérée comme l'âge d'or par les nationalistes arabes, en particulier à Damas.

  • "Averroes est même considéré par certain comme l'un des pères fondateurs de la pensée laïque en Europe de l'Ouest."

    Ce qui est une erreur, considérant sa prise de positon sur la charia.

    https://www.youtube.com/watch?v=3cPMkM1x74o

  • Dans un premier temps, ce qui m'inquiète plus, c'est le fait que des mouvements sunistes extrêmistes se fédèrent, malgré leurs divergences. Daech, les diverses Al Quaida, (dont Al Nosra pour l'instant en guerre contre Daech) les talibans, Boko Haram, etc. S'ils venaient à reconnaître l'émergence de ce califat et faire allégence au calife de Daech, ils représenteraient une puissance considérable. Avec un grand pouvoir d'attraction sur les jeunes musulmans manipulés.

    Pour ce qui est des états, je pense qu'ils jouent un jeu dangereux, pensant que Daech peut leur être utile pour l'instant et qu'il sera toujours temps de le détruire lorsqu'on n'en aura plus besoin. (à savoir quand Bachar aura disparu) Je pense qu'ils ne voient pas la dangerosité qu'il y a à laisser une telle force exister et l'impact que l'existence de Daech peut avoir sur les jeunes esprits.

    Si le califat devait devenir un fait, alors oui, je pense que certains états, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, pourraient lui faire allégence à leur tour. Mais on n'en est pas encore là et de loin.

    La carte du califat voulu par Daech comporte aussi des zones tenues par des chiites, à commencer par l'Iran, le sud de l'Irak ou le sud-Liban. Jamais ces zones ne tomberont pacifiquement entre leurs mains. Donc je suppose qu'ils comptent les prendre par la force.

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