Qui a eu cette idée folle? Le temps, les écrivains, la population entière. Ils ont placé la barre haut. Très haut. La preuve? Le nombre d’élèves qui, une fois adultes, ne peuvent écrire un CV sans y glisser douze fautes.
Ceux qui ont inventé la langue ont fait oeuvre de génie. Organiser les sons, leur attribuer du sens, construire la pensée qui va avec le langage, cela tient pour moi du génie. Mais selon la langue la tâche est ardue pour les suiveurs.
Je parle de l’orthographe et de la grammaire. Toutes ces subtilités encombrent l’esprit du scripteur mais permettent d’obtenir une grande précision dans l’expression. Tiens, le circonflexe, par exemple. C’est un signe diacritique: il sert à modifier la prononciation d’une lettre, par exemple l’allongement d’une voyelle. Introduit au XVIe siècle, il est formé des deux accents aigu et grave. Il s’utilise de manière généralisée depuis le XVIIIe siècle.
C’est compliqué. Par exemple on le trouve dans bête et dans bêtise mais pas dans bétail.
En 1990 l’Académie Française a donné son feu-vert à quelques simplifications de la langue française: abandon de l’accent circonflexe et du trait d’union. D’autres simplifications sont prévues: nénufar écrit avec f, et ognon sans i. Le gouvernement de Michel Rocard avait adopté cette réforme. Elle entre en vigueur en France à la prochaine rentrée.
Ce n’est pas la révolution mais une modification importante. Modifier une langue est toujours important. Selon le cas la réforme pourrait induire des différences d’interprétation. Mûr et mur sont deux mots aux sens très différents. Le circonflexe les distingue dans l’écrit, seul le contexte de la phrase permet de leur attribuer le sens juste à l’oral. Dorénavant le contexte sera aussi déterminant à l’écrit.
Le participe passé du verbe laisser sera invariable (laissé) s’il est suivi d’un infinitif (par exemple: elle s’est laissé porter).
Les traits d’union seront également abandonnés dans certains mots, comme dans portemonnaie. C’est ce que l’on nomme une soudure. Ah, ce trait d’union, ou tiret, ou signe moins. Celui que l’on insère parfois par erreur à la place du tiret moyen (semi-cadratin) ou long (cadratin). On utilise ceux-ci en début de réplique dans un dialogue, ou à l’intérieur d’une phrase dans les propositions incises – où ils tiennent presque une fonction de parenthèse.
Le tiret court ne sert que comme trait d’union entre deux mots que l’on veut associer, ou pour signifier moins, ou pour couper les mots en cas de césure. Les mots composés deviendront progressivement des mots uniques.
Le ph pouvant être remplacé dans certains cas par le f, qu’adviendra-t-il des éléphants devenus éléfants?
Le français est une langue élégante. Est-ce élégant l’éléfant?
Je ne sais pas, mais troublant, oui.
Commentaires
Parfois les simplifications apparentes deviennent des complications.
Il n'y a pas que mur et mûr, il y a aussi les mûres et les murmures.
Maintenant, si nous pouvons faire un petit effort pour rendre le français accessible au plus grand nombre, nous aurions tort de nous en priver.
Et j'espère que les nombreuses associations autour de la francophonie, avec un seul "f" pour le moment, ne vont pas la jouer intégristes comme les défenseurs du patrimoine dans leur combat éculé contre la rénovation du MAH.
"faîtes que la fête soit faite ! " ou "fet que la fet soit fet" ?
On est refait sur se cou , secoue ou ce coup là... !
Mais aussi.
En anglais, comment se prononce le mot "ghoti"? Il se prononce "fiche". f comme dans "enough", i comme dans "women", che comme dans "attention". C'est de Bernard Shaw.
Ces modifications ne sont qu'optionnelles, heureusement. L'orthographe traditionnelle continuera d'être acceptée. Ouf!on respire...
http://amourdelalanguefrancaise.blogspirit.com/archive/2012/07/15/langue-francaise-ne-pas-toucher.html
Erratum. Ouf! on respire...
"L'accent circonflexe est l'hirondelle de l'écriture."
Très joli Kissa. Je vois aussi les ailes d'un papillon.
Comme, par exemple, ici, Kissa:
www.wat.tv/video/envol-papillon-en-slow-motion-22951_2ey61_.html
Magnifique ! Merci pour ce lien, Hommelibre.
L'orthographe est un domaine très symbolique et toute modification peut être perçue comme le début de la fin et une preuve de plus que le déclinisme est une variante du réalisme.
J'aimerais malgré tout dédramatiser un peu.
Si on n'est pas de langue française, on est toujours un peu surpris par l'importance sociétale de l'orthographe, qui fonctionne comme le conservateur respecté d'une tradition qui rassemble toute la francophonie.
J'ai longtemps participé de l'idée que la maîtrise de l'orthographe était un signe d'intelligence. J'en suis revenue avec l'âge, car j'ai rencontré de fortes têtes et bien faites, qui avaient décidé de ne pas perdre leur énergie avec ça et qui ont réussi leur vie en étant géniaux dans d'autres domaines.
Les franco- et anglophones sont réellement désavantagés, puisqu'ils doivent consacrer bien plus de temps scolaire à l'apprentissage de l'orthographe. Cela peut représenter une bonne gymnastique cérébrale et en définitive être un gain intellectuel. En tout cas, je l'espère.
Les Allemands ont fait passer une réforme au moins aussi radicale, puisque par exemple " das Portmonee" est accepté en parallèle à "das Portemonnaie". Je ne dis pas que ça ait passé sans problèmes, mais puisque les deux orthographes sont acceptées, on a échappé à une catastrophe.
En allemand, la réforme a malheureusement renforcé l'utilisation de la majuscule, ce qui est tellement encombrant avec les claviers !
Pourrait-on imaginer que la disparition du circonflexe et du trait d'union nous faciliteront la dactylographie ?
Mais oups, je m'égare ! L'orthographe doit être une ascèse, pas une activité de tout repos ;-)))
Et puis, il reste encore la vaste champ de l'accord du participe, la distinction entre le participe et l'infinitif ( é/er). Ainsi, la difficulté majeure n'a pas été évacuée.
Ces correcteurs d'orthographe acceptent déjà "portemonnaie" "weekend" et "disparaitre", "nénufar" et "ognon".
Depuis que nous avons accès à ces correcteurs, le rendu définitif d'un texte ( par exemple ici ) peut être assez bon, du moment que l'on prend le temps de se relire. Certes, on triche un peu, puisque nos lecteurs ne savent pas, quelles fautes nous avons pu commettre ! Ainsi, la discipline de la relecture l'emporte sur le savoir-faire pur.
La tolérance me semble plutôt un progrès, même si au début, la nouveauté peut représenter un effort supplémentaire. Nous allons être choqués de lire "paraitre" au lieu de "paraître."
Je n'ai pas encore bien compris la règle des homophones ( jeune/jeûne et mur/mûr) qui peuvent entraver la compréhension, mais j'ai confiance de pouvoir y arriver. Mais je crois que je vais en rester à mes anciennes routines, qui ne sont pas affreusement contraignantes.
Je plains les enseignants, qui vont peut-être devoir s'adapter, une fois de plus, à des réformes.
@Calendula Je plains, moi aussi, les enseignants. Cela dit, et bien que je sois partisane de l'orthographe traditionnelle, je plains tout autant, sinon davantage, les non-francophones qui doivent s'armer d'une sacrée patience lorsqu'ils apprennent cette belle – mais ô combien difficile ! – langue qu'est le français.
Le problème qu'implique cette démarche de simplification réside dans la limite que nous nous imposerons.
Une langue est le résultat d'une histoire, d'une culture. Elle véhicule beaucoup plus d'informations que la simple définition d'un mot ou de la conjugaison du verbe. Personne ne voudrait en venir à s'exprimer de manière phonétique. La sténo, qui était un outil bien pratique, a fait long feu. Les SMS des ados sont des raccourcis médiocres qui n'aident pas ces jeunes à maîtriser la langue.
Et puis, le luxe suprême, à notre époque, c'est le temps. Alors celui qui le prend se détache du lot et manifeste à sa façon une forme de résistance devant la vanité de l'accélération. Je ne suis pas pressé d'arriver au bout.
Et ce n'est pas demain la veille que nous saurons passer outre les réticences que nous éprouvons devant l'inculture de la maîtrise de l'orthographe.
Essayez d'envoyer un CV non corrigé. Dès la lecture de la première ligne, il subira un classement vertical.
@ Pierre Jenni Oui, le temps est le luxe suprême, à notre époque. Il est pourtant indispensable si l'on souhaite la perfection, ou tout au moins la qualité. Au sujet des personnes chargées du recrutement (les "ressources humaines"): la plupart commettent elles-mêmes des fautes...