Je suis étonné comme beaucoup de ce qu’un homme si mince en expérience puisse être considéré comme présidentiable. Je cherche encore un axe central dans son programme qui le rende identifiable.
Le jeune Emmanuel navigue à vue de contradiction en contradiction. Par exemple sur la colonisation, qualifiée une fois de richesse et une autre fois de crime contre l’humanité. Il aurait pu s’expliquer davantage et faire la part des choses dans sa logique de synthèse, pour laisser émerger une doctrine fondamentale qui s’affranchisse du rétrécissement intellectuel et moral de notre époque. Il ne l’a pas fait et reste avec deux déclarations que rien ne lie, sans saisir l’opportunité d’emmener les français plus loin que les clivages de banlieue. Pour atteindre cet objectif il aurait eu besoin de plus d’un an.
Autres exemples: il déclare une fois qu’il est socialiste, une autre fois qu’il ne l’est pas. Il veut moins d’État mais insiste sur le rôle d’actionnaire de l’État dans des entreprises stratégiques. Il prône le libéralisme mais veut appliquer une politique (anti-libérale et anti-démocratique) de discrimination positive, financée par l’État, dans les banlieues devenues des territoires perdus de la République.
Sans donner clairement le coeur de son projet – parce qu’il n’en est pas encore capable, il n’a pas encore les mots pour le dire – Emmanuel Macron semble aligner des mesures comme dans un catalogue. Macron, c’est un catalogue en politique.
Il y a cependant un point où je comprends sa démarche. Ce point se résume à cette formule qui lui a été reprochée après son émission politique sur France 2: « Mais en même temps … »
Cette formule pourrait sembler opportuniste et destinée à satisfaire la chèvre et le chou. On dit une chose et son contraire et chacun devrait y trouver à manger.
Je pense la chose autrement. L’Emmanuel est un concepteur. Son visage, son front, sont de la typologie des intellectuels qui manient l’abstraction avec un plaisir non feint. Il doit même trouver une forme de jouissance dans cette démarche, à tenter de sidérer un auditoire habitué à voir des catégories claires, en lui présentant les contraires sur la même page du catalogue.
« En même temps » est une expression que je fais mienne depuis longtemps. Elle exprime un des grands chantiers de ma vie. Elle est une des clés de langage et de pensée qui permettent d’envisager la complexité des choses. Car les choses ne sont pas OU ceci OU cela, comme nous avons l’habitude de le concevoir, ancrés que nous sommes dans les dualités clivantes.
Les choses sont ET/ET: et ceci et cela, et noires et blanches, et sociales et économiques, et dans cette manière de penser des options de droites comme la méritocratie et l’initiative individuelle sont compatibles avec des options traditionnellement de gauche comme la protection sociale et la contestation de l’autoritarisme.
Quoique sur ce dernier point la réalité est encore plus complexe qu’il n’y paraît quand on voit que les socialistes français, pourtant héritiers de Mai 68, sont particulièrement autoritaires en politique.
Le problème du ET/ET, du « mais en même temps », est qu’ils n’a pas de traduction politique clairement identifiable. Cela reste de l’ordre de l’esthétisme rhétorique pour les gens en-dessous du seuil de pauvreté. Emmanuel Macron ne propose pas de colonne vertébrale (formule de Fillon que j’endosse) qui permette de lier les contraires et d’en faire une traduction concrète de nature à réellement réécrire le contrat social actuellement mis à mal.
Conséquemment, ses propositions restent comme un simple catalogue de mesures dont la contradiction n’est pas soluble – du moins dont il ne donne pas la perspective de solution. N’est pas Edgar Morin qui veut.
Le langage de la complexité, le ET/ET (et gauche et droite), pourrait trouver une traduction politique si le candidat était ancré dans une réalité claire, dans une expérience qui lui donne une assise. N’en disposant pas il semble hors-sol, et il l’est. Sans même revenir sur sa prestation christique, sa photo sur son affiche de campagne le montre évanescent, les yeux cherchant un point dans le ciel au-dessus de nous. D’ailleurs cette affiche est accompagnée d’un descriptif audio (écouter en fin de billet), ce qui ne devrait pas être le cas en langage visuel. Un défaut de jeunesse: trop dire ce qui est, alors que cela devrait aller de soi.
Il y a donc une vraie démarche chez le jeune Emmanuel, quoiqu’on en dise. Mais il lui manque un ancrage et une vraie pédagogie. Je dis à dessein « le jeune Emmanuel » parce qu’il est typiquement dans la phase adolescente de ce processus. Une phase que j’ai traversé dès l’âge de 16 ans avec des amis branchés à la même mamelle de la complexité et de la contradiction, de l’ampleur multipolaire du monde.
Accepter la contradiction n’est pas faire une nouvelle théorie. C’est ouvrir un espace.
Cela n’est possible que par l’expérience. Je pense qu’il ne s’est pas encore assez cassé les os sur les douloureux clivages du réel pour intégrer profondément, jusque dans son corps, dans ses mots, son ton, son humilité, dans ses ses balbutiements, l’horizon du trou noir si lumineux de la complexité. Sans cela le « mais en même temps » ne se résume qu’au spectacle des contradictions de la société, qui deviennent les siennes fautes d’être projetées dans cet espace. Peut-être aurait-il dû se déclarer et de gauche et de droite plutôt que ni de gauche ni de droite.
Je pense actuellement que pour donner place et corps au langage de la complexité, de la résolution des clivages, il faut boiter. C’est-à-dire être quand-même plutôt d’un côté idéologiquement, politiquement, culturellement, car avec une base définie il est possible d’intégrer les autres aspects pour que les contradictions soient dynamiques et non inhibantes. Faute de cela les contradictions restent incarnées dans des camps qui s’opposent et alternent la prise de pouvoir.
Le jeune Emmanuel est pressé. C’est peu compatible avec le langage de la complexité. C’est sa faille. À cause de cela, s’il est élu, il ne pourra pas appliquer le « mais en même temps ». Il devra choisir, se raidir et trancher. Ce sera possiblement son échec.
Il vaudrait mieux pour lui que l’échec vienne avant, qu’il ne soit pas au second tour et qu’il ne devienne pas président. C’est trop tôt, sa personnalité ni son expérience ne donnent de poids à son ambition. Alors que s’il échoue il prendra date et sera peut-être un jour, dans dix ou quinze ans, un nouveau Giscard d’Estaing, mieux outillé dans une époque plus propice.
Commentaires
Excellent billet. Juste une approximation qui me semble plutôt fausse : "les socialistes français, pourtant héritiers de Mai 68". Tous les éléphants du socialisme ne sont pas passé par le trotskisme. Certains viennent de l'ENA...
Soit dit en passant, Mai 68, c'est d'abord avant tout la date de la grande trahison du PC, que je sache. 7 millions de grévistes en France, de Gaulle à Baden...
Le PC était censé être un parti révolutionnaire s'appuyant sur la classe ouvrière. On a vu que ce n'était pas le cas et il ne s'en est jamais remis.
J'aurais pu en effet nuancer cette affirmation.
Nombre de vieux abrutis de la République (pr être poli), ont pris le jeune Macron sous leur aile en raison de son profil "gendre idéal de bonne famille homoparentale"... Mais pas que ça. Car le jeune cadre-gendre dynamique dispose du bagage idoine pour incarner l'avatar 2.0 de la social-démocratie française... on appelle ça l'habit fait le moine, ou la gueule de l'emploi.
Au fait, si l'on observe ce qui s'est passé aux States: c'est presque pareil... Trump, l'avatar Folk-Song de l'Amérique profonde... est le porteur d'eau en fer des tireurs de ficelles à balles réelles de la mouvance né-conservatrice Eve Angélique et atlantistes.
Pour l'avenir, on jouera à l'Apocalypse plutôt qu'au Monopoly...
Françaises, Français, lâchez-vous, investissez dans le néant: votez Michel Drucker ou Geneviève de Fontenay !
Je trouve assez extraordinaire que des commentaires venant de Suisse reprochent à E. Macron le fait de n'être ni de gauche ni de droite et de cautionner, en quelque sorte, l'éternelle alternance qui a conduit aux résultats que nous connaissons.
N'ayant pas le droit de vote en France, je considère néanmoins que M. Macron est très cohérent dans son discours et qu'il a réussi une espèce de tour de force en se propulsant pratiquement sur le podium. Reste à savoir à quel niveau !
La France est un étrange pays. Elle a éjecté N. Sarkozy comme elle aurait probablement éjecté F. Hollande, mais elle pourrait quand même se laisser enfumer ou séduire par un dinosaure...
“La folie," disait Einstein, "c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent."
Michel,
En regardant JLM je pensais que Macron lui mettait un sérieux coup d'archaïsme... Je ne sais si c'est à lui que vous pensez en parlant de dinosaure, mais je trouve qu'il y a quelque chose de ça.
Combien de fois l'humain doit-il répéter les choses pour apprendre? Mais c'est bien cela, apprendre: répéter. Einstein avait fait une observation juste. Elle n'évite cependant pas les étapes de l'apprentissage.
"“La folie," disait Einstein, "c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent.""
Je crois me souvenir qu'un des candidats a été conseiller de Hollande à l'Elysée, puis ministre de l'économie, que deux lois portent son nom, que parmi ses soutiens il y a un ancien premier ministre et un toujours ministre de la guerre. On prend les mêmes et on continue. Bien heureusement il y aura un 3e tour. Et personne n'est assuré de le gagner.
Excellent article, hommelibre, votre capacité d'observation et d'analyse naturelle ajoutée à certains outils (morphopsychologie, enneagramme peut être, et d'autres certainement) que vous paraissez avoir étudié vous permettent de décrire la situation d'Emmanuel Macron avec pertinence! Voilà pour la flatterie ;) Maintenant votre conclusion s'apparente à une affirmation genre " c'est bien, mon gars, tu es sur le bon chemin, mais tu n'as pas encore les épaules!" qui dans un monde d'expériences pourrait selon moi plutot apparaître en interrogation car transcender la complexité c'est effectivement sans doute la vivre plus que l'observer, alors de mon côté, j'essaie de ne pas préjuger de son incapacité à apprendre très rapidement... (étant français, j'y ai tout interet
Senwan,
J'accepte votre conclusion, tout en assumant ce que je pense de la précocité. C'est délicat de ne pas donner d'avis. C'est délicat d'en donner un...
Trop critiquer une personne conduit à faire douter d'elle plus que nécessaire, c'est un risque je pense. Ne pas assez critiquer c'est oublier de garder sa distance. Mais peut-être aurez-vous raison! Arriver à ce point sans être connu, si vite, montre qu'il y a un talent. Mais aussi de nombreuses aides invisibles (presse, argent), et qu'il présente le risque d'une autre monarchie. Voir la France, pays que j'aime, de l'extérieur, me fait voir de plus en plus sa culture politique et les mécanismes qui s'activent. Plus qu'ailleurs par exemple je trouve qu'il y a un mode de "rêve déçu": on porte aux nues celui qui sauvera, puis on va le flinguer dans la rue. Dur dur d'être président de la France... :-)
Je prépare un billet sur ce thème du monarque, un peu acide et humoristique.
Merci pour votre intervention.
Votre attrait pour la complexité vous a emmené,j'imagine, à étudier des concepts très puissants et abstraits (chaos, fractal...) dans le domaine de la météorologie si j'ai bien lu et vous avez perçu une forme de complexité chez Macron, et bien moi aussi, c'est le point majeur qui peut faire penser que le dogmatisme n'est pas sa tasse de thé , et qu'aucun sujet ne serait fermé d'emblé.
Avoir une "colonne vertébrale" sans dogme, sans lien "oligarchique" en acceptant et utilisant la complexité... ouuutchhhh... on verra si élu!!! et dire qu'en France on cherche un homme ou une femme seule avec tous ces atouts ;-))))))
@petard
"Françaises, Français, lâchez-vous, investissez dans le néant: votez Michel Drucker ou Geneviève de Fontenay !"
LOLLLLLL Trop drôle!