Interview dans la Tribune d’hier du psychiatre Marcel Rufo, réalisé par Pascale Frey. Le praticien vient de sortir un livre au titre évocateur: «Chacun cherche un père».
L’interview propose des pistes de réflexion intéressantes concernant la fonction du père dans l’éducation.
On annonce la mort du père depuis des décennies, en particulier depuis les révoltes contre l’autorité abusive dans années 60-70. S’il y a réellement une mort du père, je la situe beaucoup plus en amont, soit dans le romantisme et ses hommes aux sensibilités exacerbées qui étaient plus en quête d’un graal intérieur que de l’affirmation d’une autorité matérielle. Je pense aussi que les grandes figures des tyrans comme Staline ou Hitler ont fait plus pour altérer l’image du père en tant qu’autorité que bien des théories psychologiques de la deuxième moitié du 20e siècle.
Si le père représente symboliquement l’autorité limitante et cadrante, on peut même dire que ces révoltes sont dans la ligne des rébellions adolescentes, quand les fils doivent se définir différents de leur père, avant un jour d’en reprendre et endosserla fonction à leur compte.
Marcel Rufo réaffirme ici la notion de différenciation des rôles paternels et maternels dans l’éducation:
«Le père doit paterner l’enfant et pas le materner, sinon on est foutu! L’enfant doit pouvoir s’identifier à un père assez fort pour le défendre, et c’est comme cela qu’il va réussir à construire une confiance intérieure suffisante pour affronter les dangers, imaginaires ou réels.».
Le père maternant, qui devient une mère-bis, ne sera pas en place et n’aura pas posé la nécessaire distance pour pouvoir poser les limites sans lesquelles l’enfant construit une toute-puissance à laquelle il n’aura pourtant jamais accès, générant chez lui frustration et violence ou dépression et démission. Le père maternant commet un impair, avec pourtant de bonnes intentions et de nombreuses justifications affectives.
A la remarque de Pascale Frey: «Vous comparez la famille à une entreprise où le père serait patron et la mère syndicaliste», Marcel Rufo répond: «Oui, le père doit dire avec force les limites. La mère est là pour négocier, défendre les intérêts des enfants, faire le lien…»
La figure du père en tant qu’autorité garde à ses yeux toute sa valeur. D’ailleurs, la mort annoncée du père est loin d’être réalisée tant sa dimension symbolique garde toute sa prégnance.
Pour autant, les mères n’auraient-elles pas aussi l’autorité? Dans les fait, nombreuses sont les mères qui tiennent ce rôle traditionnellement dévolu au père. Avec toutefois un possible malaise, car à la suggestion: «Mais alors, le père tient toujours le mauvais rôle…», Marcel Rufo répond: "Oui, la mère est plus sympathique en général! On est toujours sûr de l’amour de sa mère, mais on doute de celui de son père. La mère c’est la maison, le père le jardin. La mère représente le foyer, le père permet l’appréhension de l’extérieur, du monde. C’est lui qui nous permet de quitter le confort de la maman.»
Ce rôle d’autorité, particulièrement sensible vis-à-vis des fils, est-il fondé sur une simple construction dominant-dominé? Pas forcément. Simplement le père est plus détenteur de la force physique qui permet au fils d’engager le rapport de force de l’adolescence par lequel il se construit aussi. Difficile pour un garçon de se battre avec sa mère quand il se sent plus fort physiquement qu’elle et quand il a été plus fusionnel avec elle qu’avec le père au début de sa vie.
Réhabiliter le père et sa fonction symbolique, différenciée d’avec la mère, est un travail auquel la société doit s’atteler. Les mères peuvent aider les pères en cela, par le soutien et les conseils nuancés qu’elles peuvent prodiguer.
Et tant pis si cela reproduit un schéma ancien: d’une part il n’est pas dit que ce schéma soit erroné, d’autre part il y va de la construction personnelle et sociale des fils, de l’engagement et de la prise de responsabilité des hommes et de la gestion de la violence dans la société.
PS: Les otages suisses de la Libye aimeraient certainement revoir rapidement leurs enfants, interdits de sortie depuis plus de 14 mois...
Commentaires
Comme l'homme a besoin de se rassurer... Cette nostalgie d'un âge d'or où le père tenait son rôle - laideur du terme - de père. Age d'or improbable, vieille légende à se conter au coin de l'âtre, certitude rassurante en ces temps de dérélictions. Mais voilà qu'en ce siècle du père, toujours approximatif, le père n'était qu'absence, indifférence à l'enfant. Il en mourait parfois loin des inquiétudes du père, tandis que d'autres déjà couvaient leur enfant, lui apportait l'amour qui plus tard lui ferait défaut. Déjà l'individu prenait le pas sur la commune mesure, et c'est pourtant elle que l'on nous sert encore, l'antienne rationnelle qui est la niche où viennent japper les chiens soucieux de rentrer dans la meute. Viens l'enfant, viens au creux de mon ventre souffler ta singularité, tandis qu'en ton nom on s'invente des règles et de la psychologie à deux francs six sous.
Oui, l'homme aussi a besoin de se rassurer... Un besoin très ancien, besoin de se connaître un rôle - beauté du terme - en plus d'être, et de se projeter dans le monde. Age d'or jamais encore atteint, vieille quête sans cesse recommencée d'avoir une place dans le théâtre des certitudes imposées. Voilà qu'en ce siècle de la mère, l'homme, qui a donné sa force pour nourrir sa famille, qui est mort pour leur assurer une terre, qui se croyait si peu utile devant la mère qui portait et nourrissait, qui n'était pas sûr d'être autre chose qu'un pourvoyeur de gibier, qui croyait à la puissance maternelle dans l'éducation, lui-même éduqué par des mères aimantes, ou par des nourrices quand la mère ne pouvait s'y donner, voilà que cet homme décrié et désiré, cet homme se redéfinit, reprend l'utile de l'ancien et le complète par l'audace du neuf dans une complétude souhaitée. Et voilà de nouvelles machines à mots ne disant de lui que chien jappant. Viens enfant, fils et fille de nos chairs et de nos existences partagées, viens, quitte ce ventre si bon, si fusionnel où tu es tout et rien à la fois, viens dehors tenter l'existence, créer ta singularité hors de l'infinie protection, tandis qu'on s'invente en ton nom des certitudes floues dont nul ne sait d'où elles viennent et que personne ne serait autorisé à discuter. Deux francs six sous, c'est le prix que l'on donne de celui qui a partagé le désir de te voir venir au monde.
Voilà qu'il court désormais pendant que nous observons les traces que laissent nos pas dans la boue. Je sais des enfants qui n'ont plus rien à rire, alors il faut bien leur glisser quelque chose à l'oreille, comme une idée du père ou plus précisément de ce que le père devrait être. Nous qui en décidons sommes déjà las de nous mais pas de l'enfant, et lui de rien qui garde la tête haute. On ne vient pas au monde, c'est le monde qui, par une étrange gymnastique, vient à nous. Ensuite, seulement, il faut rétablir l'équilibre. Alors le père, oui, il m'arrive quelquefois de l'être, mais c'est qu'il me vient des réflexions, une manière de penser le rapport. Sinon, quand je l'embrasse, c'est comme une mère, et pareil quand il me faut le porter à mon tour. Pas de remède, non, à la violence du monde, ni à celle qui demeure en chacun, cette poix noire et désolante dont l'âge adulte adore se repaître. Le rôle, bien sûr, mais alors c'est jouer, et pas comme le font les enfants puisqu'il y a un objectif à atteindre. L'enfance n'est pas une religion non plus même s'il arrive que nous lui accordions notre foi.
J'écris cela, qui ne veut peut-être rien dire, mais je suis assez d'accord avec vous. Et si vous avez l'occasion, écoutez donc "Quand tu portes", de Gérard Manset.
@ Bonjour hommelibre
très bien ton billet, je retrouve le mode de pensée d'Aldo Naouri merçi à toi
@ bonjour Zorg
"Cette nostalgie d'un âge d'or où le père tenait son rôle - laideur du terme "
dans la prise de conscience actuelle, il n'y a nulle nostalgie. mais plutôt une lucidité, un constat de l'échec des modes d'éducation post-modernes. et cette prise de conscience concerne le rôle des parents dans l'éducatif, et ce rôle qui a mis des centaines d'année à se mettre en place c'est quand même loin d'être un hasard non !!!
"l'antienne rationnelle qui est la niche où viennent japper les chiens soucieux de rentrer dans la meute. " nul question de chiens de chiens qui rentrent dans la meute, cette phrase pue le mépris mal placé. mais de lucidité de simple bon sens, ce type de jugement n'a pour moi que peu de valeur à coté d'écrits de pédiatres comme Aldo Naouri qui onts quarante ans d'expériences sur le sujet.
" tandis qu'en ton nom on s'invente des règles et de la psychologie à deux francs six sous." moi je n'appelle pas de la psychologie à deux francs six sous celle qui est lucide et qui s'appuie sur une expérience d'une telle qualité.
garde donc tes idées post-modernes à deux francs six sous pour le moment elles ne fonts que des dégats !!!!
Extrait du livre d’Aldo Naouri les pères et les mères, passé au logiciel de reconnaissance de texte ABBYY
Retour au père
La définition que je viens d'élaborer du père fonctionnel permet de comprendre encore mieux le caractère négli¬geable du géniteur et du père social face à lui. Elle permet aussi de comprendre comment et combien les « beaux-pères » - auxquels il est regrettable que notre droit ne confère en général aucun statut - peuvent parfois apporter aux enfants de leur compagne le complément de paternité qui leur a manqué du fait de la dissension du couple qui leur a donné naissance. Un cas clinique, particulièrement édifiant, permet de le comprendre.
De quel côté situer la délinquance ?
Je soignais depuis quelques années déjà la dernière enfant d'une mère psychanalyste qui avait déjà des jumeaux d'une précédente union quand elle m'a parlé d'eux juste¬ment. Ils avaient une quinzaine d'années, ils étaient en troisième, et elle se faisait du souci parce que leurs résul¬tats scolaires avaient chuté et qu'ils avaient été repérés comme dealers de haschich. Elle s'en était ouverte à son analyste contrôleur qui avait conseillé un confrère dont les enfants n'avaient tout simplement pas voulu entendre parler en déclarant que « la psychanalyse, ras-le-bol, on en a assez comme ça à la maison ». Elle me proposait de me les conduire au motif de rappels de vaccins à prati¬quer. Il y avait en effet des rappels à faire. Mais, compte
tenu de la manière dont les choses avaient été présentées, j'ai accepté de les recevoir pour les vaccins sans m!engager plus loin. Je ne m'attendais pas à la fascina¬tion que j'allais éprouver pour eux. Ils ont dû la percevoir parce qu'ils m'ont investi autant que je l'avais fait d'eux. La séance de vaccination a d'ailleurs été déterminante à cet égard, et les adolescents ont accepté de se prêter au jeu d'échanges informels que nous avons dès lors instauré, en présence de leur mère, à raison d'une fois tous les quinze jours. L'expérience me plaisait d'autant plus que je prenais un réel plaisir à voir ces vrais jumeaux, difficiles à distinguer l'un de l'autre, se renvoyer la balle à leur guise en profitant de leur incomparable complicité et de la fiabilité peu ordinaire de leur communication. Ils se réjouissaient de déjouer ma stratégie, que je rendais à des¬sein plus grossière et plus repérable encore. Ils ont fini par m'avoir à la bonne et par manifester un réel plaisir à nos rencontres tout en déniant aussi bien la délinquance dont les accusait leur mère que le caractère préoccupant de leurs performances scolaires. C'était toujours la mère qui ouvrait la séance par une plainte dont nous analy¬sions aussi bien le bien-fondé que la pertinence. Un jour, environ trois mois après le début de notre travail, ce fut un avertissement du conseil de discipline qui vint sur le tapis. La mère, soucieuse de montrer combien elle était consciente de ses devoirs, me déclara avoir aussitôt averti leur père de la gravité de la situation. J'entendis alors l'un des deux, que j'avais repéré comme le plus audacieux, lui rétorquer que ce n'était pas la première fois qu'ils ten¬taient de lui faire entendre qu'ils n'avaient que faire de l'opinion ou des réactions de leur père. Et il ajouta : « Qu'est-ce que tu crois, qu'il nous fait peur, papa ? Nous, on adore le voir, et lui aussi d'ailleurs ! On se régale avec lui, on prend notre pied ! Il n'est pas comme toi, lui. C'est pas à la pizzeria du coin qu'il nous emmène. Il connaît plein de restaus chouettes et il nous apprend à apprécier le bon vin. On s'en met plein la panse ! Bon, à un moment, il place bien le couplet que tu lui as soufflé. Mais, lui comme nous, on sait à quoi s'en tenir. Tu
comprends pas, Huguette (ils appelaient toujours leur
mère par son prénom, ce qui donnait parfois à leurs
propos un curieux ton protecteur), nous, ce que peut
nous dire papa, on s'en fiche ! Ce qui compte pour nous, '
c'est ce que pourrait dire Gabriel ! » (C'était le prénom du
nouveau compagnon de la mère.) J'ai alors vu bondir et
hurler cette femme comme je n'aurais jamais imaginé
qu'elle aurait pu le faire. Elle ne cessait pas de marteler :
« Votre père est votre père, Gabriel n'est pas votre père ! » I
Puis, des sanglots ont vite entrecoupé ses propos avant
qu'elle ne s'effondre alors que le second jumeau, qui
n'avait pas encore ouvert la bouche, lui répétait d'une
voix douce et presque mot à mot ce que lui avait dit son
frère. J'intervins à mon tour pour lui demander
d'entendre ce qui lui était dit. C'est alors à moi qu'elle
s'en prit. Au point que je dus moi-même hausser le ton et
lui déclarer que je la prenais en flagrant délit de refus de
la solution au problème qui avait motivé sa démarche. Ce
furent de longues minutes d'un débat violent et houleux
dont je ne voyais pas l'issue. Elle a quand même fini par >
se calmer. Elle accepta alors ma proposition de rapporter
à Gabriel le contenu de la consultation et de me dire la
réponse qu'il entendait donner à la demande de ses j
beaux-enfants. A la séance suivante, ils furent quatre à
venir. Gabriel posa les conditions de son entrée en jeu
dans la vie des jumeaux, conditions que ces derniers
acceptèrent sans la moindre difficulté. Les troubles dispa- '
rurent assez vite. Les garçons devinrent brillants. Ils
firent de belles études, et j'eus le bonheur de les voir
l'un et l'autre me conduire leurs propres enfants.
Je n'ai jamais cherché à approfondir le motif qui avait j
valu à la mère de se faire sourde à la demande de ses
jumeaux. Etait-ce en raison d'une confusion d'origine
sémantique, dont elle était avertie mieux que quiconque,
sur la place et le rôle dévolus au géniteur de ses jumeaux,
ou bien avait-elle cherché, en laissant Gabriel de côté, à
rester seule maîtresse d'un jeu pour lequel ses jumeaux
pensaient qu'elle n'avait pas la stature ? Auraient-ils
« délinqué », eux, pour dénoncer son comportement lui-même guère éloigné de la délinquance ?
Ce que je viens de décrire et d'illustrer permet de com¬prendre pourquoi nos semblables sont moins fous qu'on ne pourrait le craindre. Il peut, en effet, « y avoir du père » même en l'absence totale du personnage : la fonction paternelle s'avérant atomisable et pouvant être exercée simultanément ou à des moments différents par quantité d'instances ou de personnages. Est en effet de l'ordre de la fonction paternelle - et en produit l'effet - tout ce qui, de quelque manière que ce soit, est perçu par l'enfant comme limitant le pouvoir qu'il est porté spontanément à attribuer à sa mère. Combien fréquemment n'ai-je pas vu, dans les familles recomposées, l'excellent effet sur les enfants d'une entente sur leur éducation entre le père et le nouveau com¬pagnon de la mère - ce qui implique que soient dépassées les susceptibilités narcissiques.
On peut vérifier au demeurant ce type de préoccupation en faisant retour aux systèmes de parenté. Un tel détour permet de comprendre la manière dont les différentes sociétés, à la surface du globe, se sont évertuées à trouver des règles de gestion pour ces différents pouvoirs. Il suffi¬rait, pour n'en reprendre qu'un ou deux exemples, de mentionner le système hawaïen qui, dans le souci de pré¬server l'enfant de la confrontation interparentale, l'invite à nommer « mère » toutes les femmes des lignées de sa génitrice et de son géniteur, et « père » tous les hommes des mêmes lignées, ou bien le système iroquois qui l'invite à nommer « mère » toutes les femmes de la lignée de sa génitrice, et « père » tous les hommes de la lignée de son géniteur.