Je me souviens de ce film, interprété dans le rôle principal par l’admirable Nicole Garcia. Il était tiré d’un livre de Marie Cardinal. Je me souviens de cette longue errance et du chemin fait par cette femme pour arriver d’abord à reconnaître son mal-être sans plus aucune justification.
Car elle nie d’abord son problème de dépression et le banalise. Elle y cherche des raisons extérieures. Ce sont les autres. Peu à peu ces raisons perdent leur pertinence à ses propres yeux. A force d’en parler elles se déchargent comme des piles usées. Puis on suit ses étapes successives de découverte d’elle-même, ses révoltes, ses colères. Sa colère contre le psychanalyste. Et ce psychanalyste silencieux, précis sur l’heure de début et de fin du rendez-vous à chaque fois. Etrange thérapie qui amène la patiente à reprendre la responsabilité de sa vie. Douce liberté qu’elle en ressent.
Cette histoire est intéressante parce que la cure est ici aboutie et libératrice. La patiente a trouvé un nouveau point de référence intérieur. Tout ce long travail sur soi s’est effectué au moyen d’un des outils les plus précieux de l’humain: la parole. En prenant parole sur elle-même et sur sa vie, en mettant peu à peu les bons mots avec le juste regard intérieur, elle transforme sa perception et sa vie.
Je suis pourtant peu fan de la psychanalyse. D’une part une thérapie si lente me dérange. Des approches plus subjectives et personnalisées comme la Gestalt, peuvent mettre plus rapidement en évidence une problématique. J’ai vu en peu de séances de Gestalt des prises de consciences bouleversantes et libératrices. Mais cela doit être complété par une reprise en cognitif, en «penser sa vie» pour ancrer le résultat, et par la mise en place de balises de comportements, d’attitudes qui permettent cet ancrage nouveau.
Car il n'est pas dit que la rapidité d'une révélation intérieure soit une garantie de résultats durables. Alors que la psychanalyse, elle, prétend que ce qui se révèle lentement, progressivement, par étapes, est propice à modifier durablement le vécu d'un individu. Cela dépend probablement du moment de chacun et des éléments à sa disposition au début d’une thérapie.
D’autre part la psychanalyse propose une grille de lecture du fonctionnement psychique. Cette grille me paraît assez rigide. On comprend que Sigmund Freud ait voulu dessiner une sorte d’anatomie-physiologie du psychisme. A tort ou à raison. La grille de lecture proposée me semble trop encline à s'imposer comme LA vérité et une vérité indiscutable, alors même que les seules démonstrations possibles ne sont qu'empiriques. De plus elle exclut d'autres grilles de lectures.
Mais en tant que méthode la psychanalyse valorise le temps, le cheminement, l’indifférence progressive à un résultat particulier - donc la libération du productivisme psychique et de ses rationalisation et justifications. Elle ouvre la porte à la possibilité de devenir responsable de soi et ne plus être victime du monde. Il n’y a pas d’avenir dans un monde où l’on est victime.
Cet aspect de la psychanalyse dérange: l’histoire sociale de l’individu est secondaire à l’histoire personnelle. Ce qui nous est arrivé, les parents, la famille, la société, oui, cela a eu une influence. Mais le plus important est de décider de ce que nous en faisons et de reprendre le pouvoir sur notre vie. Cela a tant dérangé que la méthode psychanalytique a été utilisée pour tenter d’invalider ladite méthode et son auteur. Combien de théories politiques ont tenté d’expliquer le monde au travers du regard freudien! Même le féminisme tente d’expliquer la théorie de la supposée domination masculine grâce à Freud. A la question de savoir pourquoi les femmes, qui sont aussi intelligentes que les hommes et qui savent depuis millénaires faire marcher le monde sans eux si besoin, pourquoi auraient-elle accepté sans réagir d’être réduites en «esclavage» comme on peut parfois le lire? C’est parce qu’elles se seraient introjecté inconsciemment l’idée qu’elles étaient dominées et que c’était normal! C'est un peu court, mais cela marche encore.
Je ne m’étendrai pas sur les critiques que l’on peut adresser à Freud, ce n’est pas mon but dans ce billet. Elles existent. On doit cependant admettre que Freud a contribué à donner place à l'individu contre la massification et la tyrannie internationale socialiste ou nationale-socialiste. Il a contribué à donner des bribes d'un discours sur l'intériorité qui manquait cruellement, entre le dogme religieux, l'idéologie politique et le consumérisme naissant.
La psychanalyse a-t-elle besoin de ses propres théories? A-t-elle besoin d’un discours sur la sexualité infantile? A-t-elle vraiment besoin d’établir des normes? En tant que thérapie c’est à la fois indispensable et dangereux. Indispensable car, comme la physiologie pour le corps physique, on a besoin de savoir comment c’est quand ça marche. Mais c’est également dangereux car si la physiologie peut se vérifier matériellement à chaque instant, la psychologie reste en partie une affaire de croyance et de discours alors qu’elle se veut pourtant normative et universelle.
J’imagine que la psychanalyse pourrait abandonner une partie de ses théories sur le psychisme et continuer à se développer en tant que méthode. Elle pourrait éventuellement s’enrichir d’autres approches (transpersonnelle, Gestalt, analyse trans-générationnelle). Quant à ses théories sur le fonctionnement du psychisme, sa grille de lecture en quelque sorte, le temps où l’on pouvait s’en tenir à une approche intellectuelle semble révolu: les neurosciences apportent une vision totalement liée et interactive du corps et du psychisme.
Peut-être abandonnera-t-on un jour même la notion d’inconscient, en tout cas sous sa forme actuelle de «lieu du refoulement» de l’intime. Dans ce siècle un nouveau discours sur l’humain prendra peut-être forme et touchera tous les domaines d’activité et de connaissance. Il n’y a pas de raison que la psychanalyse soit épargnée du bouleversement en cours.
Commentaires
Entre les désenvoûtements, l'expiation,les exorcismes, les condamnations au bûcher et les neuroleptiques venus plus tard, Freud a eu le mérite de tracer un chemin qui s'adressait à l'humain en lui redonnant des outils personnels.
Maintenant, oui il a voulu implanter sa méthode comme une vérité absolue et l'a enfermée dans un carcan rigide.
Comme beaucoup de créateur qui trouve une nouveauté, il a eu tendance à la limiter à l'aune de sa propre personnalité.
Les suivants n'ont pas manquer pour faire germer une multitude de voies à partir de ce matériau de départ, avec toute l'irrévérence requise.
La Gestalt en fait partie. Je sais que je le rabâche souvent, mais puisque vous me tendez l'occasion; Jung à développé un concept beaucoup plus profond et complexe de l'inconscient. Une unité psychique qui se lie dans les réseaux mystérieux du corps. Ce que valide en effet de plus en plus les neurosciences.
Si l'on considère la personne reliée aux forces de la vie et à la création; alors oui la notion d'inconscient peut subsister. Pour la simple et bonne raison que même si le corps contient, réceptionne et véhicule des sommes d'informations inimaginables, la conscience ne peut pas les tenir toutes en même temps !
On retrouve aussi le continuum de l'information en physique quantique, et ceux qui plongent dans le monde fascinant de l'intrication quantique et du pouvoir psychique constatent que la concentration pour percevoir ces liens ne tient rarement plus de 10 secondes (qui peuvent paraître une éternité), passé ce laps de temps la concentration recule inexorablement, même chez les plus aguerris.
Bonjour Aoki,
En effet le nombre d'informations reçue par un individu est tel qu'il ne saurait tout gérer consciemment. Ce ne serait d'ailleurs pas utile. Il n'a pas besoin de penser à respirer, ni à faire battre son coeur. Je cite deux exemple physiologiques car il serait intéressant d'explorer les mécanismes du corps comme une sorte d'inconscient cristallisé et stratifié.
Dans quel sens cette notion d'inconscient pourrait-elle continuer à coexister avec les neurosciences? Peut-être en changeant la fonction ou les mécanismes qui lui sont attribués. Ainsi le refoulement, notion très mentale, pourrait devenir une schématisation de comportement instinctif et pulsionnel, sur une base neurophysiologique? Ou une base physique à la notion d'archétypes? Dans ce cas, les troubles relationnel familiaux et l'inconscient individuel par exemple seraient une tentative - incomplète - d'expliquer quelque chose qui échappe à l'entendement logique.
Certains scientifiques ont créé des notion comme le "schème" et le mème" qui se rapproche de cela. Comme Dawkins, Piaget ou encore Sheldrake.
Il y a beaucoup de notion qui prenne appui sur la génétique, or un programme génétique est quelque chose d'inconscient, même si l'on aborde des lectures partielles à l'aide du numérique.
Inconscient cristallisé ou stratifié pourrait sembler trop inerte et minéral comme adjectif. Surtout si l'on prend votre dernière proposition (troubles relationnels familiaux), qui impliquerait une participation active qui tend vers une résolution d'un problème.
D'ailleurs les thérapies "indigo" partent sur ce principe: le bulbe rachidien va toujours faire tout son possible pour créer des situations (souvent perçue comme pénibles, des crises) Afin que l'individu puisse rétablir son fonctionnement originel et intègre.
Le concept guérissant de l'énergie vitale implique aussi et surtout une détermination inconsciente qui tend au retour vers l'intégrité originelle ... ou génétique si l'on veut.Et ceci passe aussi par des crises...
Bien sûr que l'idée d'un inconscient contenant uniquement nos refoulement est vraiment trop restreint. Au contraire, l'inconscient n'est pas la poubelle de nos émotions, mais au contraire la somme d'informations aux racines extrêmement vastes.