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Trouble (2): le droit de cuissage

Dans la Légende noire du Moyen-Âge, l’une des fictions les plus connues, les plus tenaces et dénigrantes, est celle du supposé «droit de cuissage». Il était aussi nommé droit de culage ou de jambage. Ce droit aurait permis au seigneur d’une terre d’avoir des relations sexuelles avec la femme d’un vassal ou d’un serf la nuit de ses noces.

voltaire2.jpgVoltaire, le célèbre libre-penseur, se commit d’un article dans son dictionnaire philosophique, article où il dénonce le droit de cuissage comme un fait avéré et pratiqué autant par les ecclésiastiques que par les seigneurs.

«Il est étonnant que dans l’Europe chrétienne on ait fait très longtemps une espèce de loi féodale, et que du moins on ait regardé comme un droit coutumier l’usage d’avoir le pucelage de sa vassale. La première nuit des noces de la fille du vilain appartenait sans contredit au seigneur.
 
Ce droit s’établit comme celui de marcher avec un oiseau sur le poing, et de se faire encenser à la messe. Les seigneurs, il est vrai, ne statuèrent pas que les femmes de leurs vilains leur appartiendraient, ils se bornèrent aux filles ; la raison en est plausible. Les filles sont honteuses, il faut un peu de temps pour les apprivoiser. La majesté des lois les subjugue tout d’un coup ; les jeunes fiancées donnaient donc sans résistance la première nuit de leurs noces au seigneur châtelain ou au baron, quand il les jugeait dignes de cet honneur.
 
On prétend que cette jurisprudence commença en Ecosse ; je le croirais volontiers : les seigneurs écossais avaient un pouvoir encore plus absolu sur leurs clans, que les barons allemands et français sur leurs sujets.
 
Il est indubitable que des abbés, des évêques, s’attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels : et il n’y a pas bien longtemps que des prélats se sont désistés de cet ancien privilège pour des redevances en argent, auxquelles ils avaient autant de droit qu’aux pucelages des filles.»



Ce supposé droit n’est mentionné ni dans des lois, ni dans des recueils de coutumes de France. Aucun auteur n’en a parlé ou n’a documenté le sujet. Voltaire n’apporte aucune preuve sur le sujet.


Droit_cuissage.JPG


Jules Michelet en rajoute une couche au XIXe siècle, dans un ouvrage intitulé La Sorcière:

«Le seigneur ecclésiastique, comme le seigneur laïque, a ce droit immonde. Dans une paroisse des environs de Bourges, le Curé, étant seigneur, réclamait expressément les prémices de la mariée, mais voulait bien en pratique vendre au mari, pour argent, la virginité de sa femme » et plus loin, parlant des seigneurs : « On voit d’ici la scène honteuse. Le jeune époux amenant au château son épousée. On imagine les rires des chevaliers, des valets, les espiègleries des pages autour de ces infortunés. — « La présence de la châtelaine les retiendra ? » Point du tout. La dame que les romans veulent faire croire si délicate, mais qui commandait aux hommes dans l’absence du mari, qui jugeait, qui châtiait, qui ordonnait des supplices, qui tenait le mari même par les fiefs qu’elle apportait, cette dame n’était guère tendre, pour une serve surtout qui peut-être était jolie. Ayant fort publiquement, selon l’usage d’alors, son chevalier et son page, elle n’était pas fâchée d’autoriser ses libertés par les libertés du mari. »


Voltaire et Michelet unis à travers le temps dans une affirmation fantaisiste pour dépeindre le Moyen-Âge comme époque de sauvages et de barbares! Là encore, aucun document n’est fourni, aucune recherche historique n’est effectuée. Mais la fable est accréditée dans l’opinion. Mieux: elle est reprise dans la littérature féministe, même en ce début de XXIe siècle, comme illustration de la théorie de la domination masculine. Que n’a-t-on dès lors dénoncé le droit de cuissage des dames de la cour sur les pages!

 


Et pour le dessert:

heers1.jpg«Tandis que le chevalier était autorisé à jouer sa femme aux dés ou à l'enfermer dans un couvent, le paysan, quant à lui, pouvait chasser sa femme de son exploitation ou la vendre à l'encan sur la place du marché.»

«Le chevalier et ses fils n'avaient aucun égard pour les paysans. Pour la «Dame de son coeur», bien évidemment de haute naissance, le chevalier était capable de veiller des nuits entières, pieds nus et en dépit du froid glacial, en guise de démonstration d'amour et d'admiration. En revanche, vis-à-vis des femmes et des filles de paysans, le même homme se comportait de la façon la plus ignoble et sans aucune retenue.

Pour égayer ses beuveries, il était capable d'ordonner de rassembler toutes les jeunes femmes du village le plus proche. Et si une paysanne avait le malheur de lui plaire, sans plus de façons, il faisait chasser le mari de sa propre maison.

A tout moment, le seigneur avait le pouvoir de transformer ateliers et dépendances de son château en harem. C'est ainsi que la chevalerie, tout en célébrant en vers la gloire des femmes, écrasait sans pitié la volonté et les sentiments des femmes du peuple.»

Alexandra Kollontaï, féministe communiste (1872-1952).

La propagande communiste était en route.

 


Encore une fois, aucun document, aucune étude ne vient corroborer ces affirmations. Aujourd’hui plus aucun historien ayant effectué des recherches précises et complètes ne peut soutenir la  thèse du droit de cuissage. On ne le pratiquait pas au Moyen-Âge. La seule contrainte connue est le droit de culage, ou de collecte. Les couples devaient se marier sur les terres du seigneur. Une dérogation était possible moyennant une taxe ou «culage».

On verra par la suite que ces mensonges avaient un but précis. Leur résurgence depuis une cinquantaine d’année en a un autre.


A suivre.

 

Catégories : Histoire, Politique, société 7 commentaires

Commentaires

  • Fort intéressant. Merci.

  • Chose qu'on a cru vraie!

    Souhaitons un prompt rétablissement à la vérité historique!

  • Oui Sérum, et la croyance fut forte! La Légende noire du Moyen-Âge a pollué la pensée occidentale et ses effets se font encore sentir aujourd'hui.

  • Je vous suis et suivrai attentivement, merci et bonne soirée!

  • Merci Colette. J'essaie de condenser. Je termine ce week-end.
    Bonne soirée!

  • Je voudrais simplement rappeler qu'il n'y a pas automatiquement relation entre chevalier et noble.
    Tous les nobles n'appartenaient pas à la chevalerie et un certain nombre de personnages de l'histoire d'origine roturière furent adoubés (nous parlons biens sûr de la période médiévale car après...).

    Pour être ^plus clair je vais citer ici Wikipédia :

    "Elle (la chevalerie) rassemble tous ceux qui n'ont "ni la notoriété d'un lignage noble, ni la richesse d'un grand propriétaire terrien, ni le droit de ban d'un sire"1. En d'autres termes, est chevalier un homme qui n'est pas issu de la noblesse d'un point de vue héréditaire, qui ne possède pas de richesses considérables, que ce soit en terres ou en argent, enfin qui n'a pas le pouvoir de convoquer des vassaux à son service ni de commander, de contraindre, de convoquer l'ost (droit de ban)."

    Bravo pour cette série d'articles qui permet aux meilleurs travaux récents de s'exprimer d'éclairer un certain nombre de vos lecteurs et remet en place les erreurs que les historiens du XIX° siècle - en particulier - se sont fait un plaisir d'accentuer... Pour des raisons guère avouables d'ailleurs!

  • @ Fragkiskos:

    Merci pour ces précisions. Elles montrent que la société médiévale avait une certaine souplesse dans sa structure de classes.

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