C’est un mot fort, peuple. Chargé d’émotions et de mythes. Dont celui d’une masse homogène marchant derrière son chef. Parce que, si l’on y regarde bien, le mot peuple n’est jamais invoqué par le peuple lui-même mais par quelques-uns qui parlent en son nom – ou qui l’utilisent pour parler de manière indirecte en leur propre nom.
Peuple, combien de tyrans se sont élevés en ton nom?! Aujourd’hui le mot sert à diviser les sociétés, comme si le peuple n’était qu’une fraction de la population. On entend presque le présentateur:
« À ma droite, Le Peuple! À ma gauche, le Non-Peuple! »
Or le peuple c’est toute la population d’une nation, unie dans une culture et un modèle politique communs. La droite ni la gauche ne peuvent se l’approprier. C’est pourtant ce qu’ils font, et tous veulent en tirer légitimité. J’entends par exemple Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen en France. Ils parlent de « leur » peuple comme s’ils étaient « le » peuple.
À moins de vouloir réactiver la lutte des classe, l’en-bas contre l’en-haut, par souverainisme interposé, le peuple c’est tout le monde ou ce n’est personne. Donc la résistance à la mondialisation n’est pas le réveil des peuples contre le non-peuple. Salvini ne représente pas plus le peuple que Macron ou Merkel. Mais pas moins non plus.
Non, aucune personne n’est plus le peuple que d’autres. Dans les peuples, Salvini, Macron et Merkel représentent des options, des orientations ou des visions politiques, plus qu’une couche homogène et consciente d’elle-même qu’on nommerait le peuple.
Aucune partie de la population ne peut priver l’autre d’une appellation ou identité commune. Car la définition du mot peuple, selon le cnrtl.fr, n’est pas propice à une telle dualité:
« Ensemble des humains vivant en société sur un territoire déterminé et qui, ayant parfois une communauté d’origine, présentent une homogénéité relative de civilisation et sont liés par un certain nombre de coutumes et d’institutions communes. …
Ensemble de personnes qui, n’habitant pas un même territoire mais ayant une même origine ethnique ou une même religion, ont le sentiment d’appartenir à une même communauté. …
Ensemble des individus constituant une nation, vivant sur un même territoire et soumis aux mêmes lois, aux mêmes institutions politiques. … »
Il faut aller plus loin dans la page du cnrtl pour lire cette variation du sens de peuple:
« L’ensemble des personnes qui n’appartiennent pas aux classes dominantes socialement, économiquement et culturellement de la société. »
Pourtant même dans cette acception, peuple n’appartient pas à un camp ou à un bord politique.
Et encore plus loin cette variation devient franchement péjorative. Résidu d’une classe dominante éduquée qui voulait se démarquer de classes n’ayant pas eu accès à l’éducation:
« Ensemble de personnes caractérisées par la vulgarité, le manque de distinction des manières quelle que soit la classe sociale à laquelle elles appartiennent. … Personne(s) issue(s) de la couche la plus démunie socialement et culturellement de la société. »
Le peuple n’est donc ni une réalité partisane ni une catégorisation politiquement crédible. C’est une abstraction. Il ne peut servir de socle à une pensée unique, car dans ce peuple il y autant d’oppositions politiques que de convergences. On ne peut le brandir comme un étendard des uns contre les autres, puisque les uns et les autres sont le peuple.
Il ne procure aucune légitimité. Il est abusif de s’en approprier pour justifier une ligne politique particulière. Il ne signifie rien en dehors de tous. Il ne peut être partiel – ou alors c’est une faction qui usurpe le mot, et donc le dénature.
Il est peut-être temps de réduire la force quasi mystique du terme peuple. Temps d’en finir avec des imprécations au nom du peuple. Temps de moderniser le langage, et à travers lui les concepts issus du XIXe siècle. Temps de réviser jusqu’à la manière même, dualiste, de penser. Et de revenir à la définition première en-deçà des clivages politiques.
Le peuple n’est ni un courant politique, ni une réalité sociologique, ni une marque de fabrique. Il fait partie des mots magiques qui, en parlant d’un seul, prétendent dire pour beaucoup.
Personnellement quand j’entends le mot peuple, je sors ma longue-vue. Pour voir qui s’approprie son nom, qui prétend chevaucher les masses.
Commentaires
La référence de base, c'est la Rome antique, l'opposition entre plébéiens et patriciens, les grandes familles de possédants et de dirigeants. Vous ne les voyez pas parce qu'elles n'existent pas vraiment en Suisse, pays trop démocratique pour cela. Avec les défauts qui vont avec : les Suisses pour leur grande majorité sont très ploucs. Cela se voit gros comme une maison et nous avons sur cette plateforme deux ou trois représentants de cette bêtise suisse tellement typique, tellement stupidement bienveillante qu'elle ne comprend pas qu'on fasse des misères à ces si charmants musulmans qui refusent de serrer les mains du sexe opposé...
Le cas de la France, qui guide la pensée de nos médias dans tous les domaines (il suffit que France inter fasse une nouvelle émission pour qu'immédiatement la radio ou la télé suisse la copie immédiatement...) a ceci de différent qu'elle a connu une Révolution, qui a laissé beaucoup de traces. Cette Révolution a supprimé une élite pour en recréer une autre. La révolution communiste aussi, soit dit en passant, mais c'est revendiqué dès le départ. Un communiste, c'est l'avant-garde du prolétariat. Et si qqn du prolétariat le conteste, cela va très mal se passer pour lui...
Le jacobinisme, idéologie d'extrême-gauche centralisatrice, l'ayant emporté sur le girondisme, régionaliste et de centre-droit marque encore la France actuelle. Il n'est de bon bec qu'à Paris. Où montent les provinciaux pour "réussir". Et ceux qui réussissent occupent le dessus du panier. Ils ne font plus partie du vulgum pecus, le peuple...
Cette idéologie française est encore très vivante et la plupart de nos journalistes ici étant français, elle influence de plus en plus le débat suisse. Ce qui est risible, parce qu'il faut bien l'avouer : nous n'avons pas d'élite...
Mais ailleurs dans le monde, cette confrontation entre plèbe et patriciat est très vivante. Des USA à l'Arabie saoudite en passant par des centaines d'autres pays...
Si on comprend le terme peuple comme étant simplement l’ensemble des citoyens d'un pays, on peut affirmer qu'il s'agit bien d'une réalité sociologique.
Il s'agit souvent du fruit d'une construction lente d'un état où des parties se reconnaissant un destins commun se sont alliées sous des aspiration des communes, comme la Suisse par exemple.
Ce pays ne s'est pas constitué par des conquête ou des occupation de territoires C'est ce qui fait le génie particuliers du peuple suisse, paisible, prospère et libre, tant pis pour la brillance élitiste dans le monde, quoique les H Dunant, Pestalozzi, Le Corbusier ou CG Jung la liste pourrait être que quelques noms en haut d'une très longue liste.
La France a une histoire bien différente, pourtant il existe aussi un génie français bien particuliers où la beaufitude peut cohabiter avec l'esprit le plus alerte et inventif. Parfois dans un même individu ...
Cette réalité sociologique dispose certainement des aspirations communes non fixées et irrationnelles dans un subconscient collectif que l'on pourrait appeler l'âme de la nation.
Le jeux politiciens devrait constituer à chercher à saisir ,deviner l'âme de la nation pour incarner la cohésion nationale . C'est ce qu'avait si bien réussi le Général de Gaulle.
C'est probablement pour cela que beaucoup s'en revendiquent et c'est aussi pour cela que le système de monarchie présidentielle s'est institué après lui.
La révolution française n'a pas seulement décapité Louis XVI,mais aussi la fonction atavique de la représentation de l'âme nationale placé au-dessus des petits intérêts particuliers. Après de Gaulle, l'âme nationale française s'est dissoute progressivement et aujourd'hui elle se cherche.
Il se passe qqch qui illustre bien tout ça, en ce moment-même. La Commission européenne veut abolir le changement d'heure mais garder l'heure d'été. L'heure qui favorise la nuit, si vous voulez. Donc les urbains, qui détestent le jour, qui ne les intéresse pas vu qu'ils sont enfermés dans leurs bureaux, ateliers, caves et autres trous à rats.
Et là, grosse surprise. Après deux lécheurs de bottes (pour être poli), voici que le nouveau correspondant de TdG/24heures dit tout haut ce que le peuple pense : foutage de gueule. Jean-Noël Cuénod et Xavier Alonso se seraient bien sûr pâmés d'admiration devant l'esprit démocratique de Juncker qui a fait un sondage par téléphone cet été pour en arriver à cette conclusion.
Pas Alain Rebetez. Je vous recommande la lecture de son mot à ce sujet dans le canard du jour...
Mais il y a pire que les lécheurs sus-nommés : toute la racaille européiste de Berne qui a immédiatement déclaré que la Suisse s'alignera bien sûr sur l'Europe, quelle que soit l'heure choisie. C'est ce qu'on verra, bande de pourris.
@Géo
« Il n’est bon bec que de Paris » est un vers de Fr. Villon (XVe siècle), bien avant la Révolution soit dit en passant… Il ponctue la fin des envois et de chaque octain de la « Ballade des femmes de Paris » (magnifique poème par ailleurs). On en a fait un aphorisme à la gloire de la gastronomie de la capitale, en fait Villon célébrait la vivacité de langage qu’avaient les Parisiennes.C'est toujours un peu le cas.
Vous le savez peut-être, je vis souvent à Paris, un peu moins maintenant car la ville fatigue. J’assiste régulièrement chaque année à des cycles de conférences : histoire, histoire de l’Art essentiellement. Il n’y a plus d’ostracisme , ni de postures de supériorité à l’égard des « provinciaux », des profs des Unis de Grenoble, Montpellier, Lyon, Rennes, Lille, de Suisse même sont régulièrement invités, sans qu’on puisse déceler une moindre « qualité » de leurs prestations. Il y a aussi de vraies « pinces » sorbonnardes… La seule différence perceptible, elle existe entre ceux qui ont suivi Normale Sup’ et ceux qui ont eu un parcours universitaire classique. Les premiers ont appris les codes, ils sont plus à l’aise, on leur a appris à s’exprimer, c’est toute la différence.
@aoki
Pertinente votre analyse sur le sentiment national des Français, l’âme de la Nation comme vous le dites si bien. Je crois cependant que personne, dans l’époque moderne, sauf peut-être Clemenceau en 1917, à l’heure de la patrie en danger, n’a su vraiment la cristalliser. Vous voyez l’épopée gaulliste à travers des lunettes roses : jamais le Général, sauf au moment de la crise algérienne, n’a su non plus l’incarner. De Gaulle le résistant a quitté le pouvoir en 1946, en désaccord avec le rôle des partis, mais croyant qu’on viendrait le rechercher assez rapidement… Il a attendu douze ans, ce qui lui a permis d’écrire ses Mémoires pour forger sa légende, et il a fallu le nœud de l’affaire algérienne pour que cela se fasse. J’étais jeune étudiant, abonné entre autres au Canard, et je puis vous dire que les lazzis, critiques, vacheries et polémiques ne manquaient pas. Les Français l’ont désavoué avec le fameux référendum de 69. De voir le personnage actuellement béatifié ne laisse pas de me surprendre.
Géo:
"C'est ce qu'on verra, bande de pourris."
C'est tout vu. On me souffle à l'oreille que le peuple suisse avait refusé le changement d'heure, et qu'elle a été quand même instituée.
https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/19780528/index.html
aoki:
"Ce pays ne s'est pas constitué par des conquête ou des occupation de territoires"
Si: Thurgovie, Argovie, Tessin, Vaud.
@ Gislebert
"De voir le personnage actuellement béatifié ne laisse pas de me surprendre."
C'est un des aspects remarquables du personnage. C'est après sa mort qu'il a le mieux su cristalliser cette âme de la nation.
Le décalage de mentalité avec les fièvres juvéniles soixante huitarde, l'avait ringardisé à jamais.
Mais avec le temps la dimension d'homme d'état qui affronte les problèmes, ne se soumettant ni à Washington, ni à Moscou, s'est forgée dans l'inconscient collectif français. Peut être par un parallélisme entre la résistance à tous les Empires, fussent-ils américain, soviétique ou nazi et la résistance au mondialisme et européisme.
Mais peut-être est-ce seulement le reflet d'une mémoire évolutive, signe d'une mémoire saine , selon B Cyrulnik
"De Gaulle " ... "Mais avec le temps la dimension d'homme d'état qui affronte les problèmes, ne se soumettant ni à Washington, ni à Moscou, s'est forgée dans l'inconscient collectif français." (aoki)
Je plussoie.
Avant 46, Paris était une capitale. Après 46, Paris était un bureau d'administration de l'occupation US, les capitales françaises étant devenues Hanoi et Algers.
C'est avec l'ORTF en 64 que Paris est devenu le nombril des élites qui crôaent que parce qu'elles passent à la TéVé, leurs nombrils sont représentatifs de tous les nombrils de la France.
En fait le nombrilisme français est tellement puissant, que justement les provinces les envoiaient là-bas pour avoir la paix, malheureusement jusqu'au moment où les villes provinciales ont commencé à revendiquer un titre de ... "capitale européenne" de quelque chose, comme Lyon, Marseille, Toulouse, Lille, Rennes, Strasbourg, ...